La question du transhumanisme est encore (trop ?) rare dans les débats actuels. Cependant, les communautés scientifiques et la Science-Fiction n’ont attendu personne pour s’emparer du sujet, en bien ou en mal. Les enjeux soulevés par le transhumanisme sont protéiformes ; ils induisent le concept en tant que tel, soit l’intelligence artificielle ou la cybernétisation, mais aussi les questions politiques, sociales, culturelles et juridiques qu’induirait une telle mutation de la société. Pourtant, personne ne s’est posé la question de savoir si il y avait la moindre nécessité, et surtout la moindre volonté, d’amener l’Humanité vers le transhumanisme, ni ce qu’elle pensait d’un avenir où le quotidien incorporerait des robots tels qu’on les voit dans la littérature.
C’est la problématique centrale du cycle des robots d’Asimov, qui disait justement de la Science-Fiction qu’elle est « la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l’être humain aux progrès de la science et de la technologie ». De nombreuses œuvres ont ainsi soupesé la délicate question autour de l’intelligence artificielle et du transhumanisme, comme Neuromancien, Matrix, ou encore les séries Star Trek et Battlestar Galactica pour ne citer qu’elles. En fin de compte, la question la plus épineuse consiste à savoir si le transhumanisme demeure réellement une évolution, ou un contre-humanisme, pour ne pas dire antihumanisme. De nombreux scientifiques élèvent leurs voix contre les dangers que provoquerait la création d’une véritable intelligence artificielle, dont le fameux Stephen Hawking. Pour prendre un raccourci, qui n’en demeure pas moins pertinent pour autant, il s’agit de savoir si Skynet est possible, aussi bien technologiquement que les conséquences désastreuses que la société entraîna dans la saga Terminator en raison des impératifs industriels, et notamment militaro-industriels.
Pourtant, les nombreuses interrogations légitimement soulevées trouvent souvent la même réponse de la part des scientifiques transhumanistes ; celle consistant à décrédibiliser toute critique en lui prêtant fallacieusement le moteur de la peur, et donc de l’irrationnel, quand il ne s’agit pas purement et simplement de disqualifier tout détracteur par l’habituelle invocation de la science-fiction, non pas comme littérature interrogeant le réel, mais comme pur et simple phantasme des imaginaires.
TRANSHUMANISME CONTRE RÉALISME
S’il y a bien une chose frappante de la part de la communauté scientifique favorable au transhumanisme, c’est la naïveté stupéfiante dont elle fait preuve sur les conséquences sociales, économiques et culturelles qu’induit le concept même de transhumanisme et d’intelligence artificielle. Généralement, les débats houleux qui opposent des scientifiques transhumanistes à des « profanes » se traduisent par une joute verbale consistant à jeter l’opprobre sur la science-fiction ou à accuser les contempteurs de ce progrès autoproclamé de se fonder uniquement sur les peurs, cette dernière argutie étant même implicitement appliquée à Stephen Hawking qui se méfierait de l’intelligence artificielle pour « de mauvaises raisons » à en croire certains. Chercheurs du CNRS ou simples roboticiens, il est alarmant de voir à quel point les discours promouvant l’IA sont déconnectés du réel, sans pour autant être dépouillés de toute condescendance scientiste. Du seul fait que la science serait rationnelle, il nous serait interdit de soupçonner une motivation irrationnelle chez ses membres. Et pourtant, il est inquiétant de voir à quel point les créateurs de ce prométhéisme sont persuadés du bienfondé de la mission qu’ils se sont confiée. Philosophes et littérateurs ne sauraient entraver la marche d’une évolution incontestable, puisqu’ils ne sont pas scientifiques, et donc inaptes à la critique.
Cela est pourtant visible dans la grande – et paradoxale – tendance qu’ont des scientifiques, théoriquement rationnels, d’octroyer une âme et à personnaliser les machines, même quand ils ne sont que des automates ou des ordinateurs. Alain Damasio protesta à plusieurs reprises dans ses interventions sur l’écueil humain – trop humain ? – de certains à générer de l’empathie et à personnifier ce qui n’est pourtant qu’assemblage de plastique et de silicium. Si l’anthropomorphisme a toujours été inhérant aux individus, il est toutefois nécessaire de faire une claire distinction entre le vivant et l’inerte. Les animaux, en tant qu’êtres vivants, sont capables de ressentir certaines sensations et certains sentiments, comme le plaisir, la peur, etc., ce qui est prouvé scientifiquement, tandis qu’un robot reste et restera une machine mue par un programme ou un logiciel, puisque reposant sur le mimétisme ou des compétences propres à n’importe quel ordinateur. Ces robots sont justement trop souvent présentés au travers d’hagiographies médiatiques qui voudraient que les machines dépassent déjà l’Homme dans certains domaines comme les échecs ou le jeu de go, comme si l’humanisme était par nature obsolescent.
Il convient cependant de rappeler, comme le fit Marianne Durano, d’une part qu’il ne s’agit pas d’intelligence artificielle telle qu’on l’imagine, mais d’ordinateurs au sens premier, soit de supercalculateurs, dont la réussite repose d’autre part justement sur la capacité de calcul et de stockage de l’information ; il s’agit d’algorithmes, non pas de créativité ou de réflexion. Par rapport à la littérature, la science est donc encore très en retard, quels que soient les quolibets que ses acteurs puissent faire à l’endroit de la Science-Fiction, qui imagina il y a déjà plus de soixante-dix ans ce qu’on peine à créer aujourd’hui.
Nonobstant cela, les interrogations liées au projet social et politique, et les risques économiques et culturels qui en découleraient restent souvent négligés. Sans qu’il soit forcément question de se demander si l’Humanité ne se dirige pas vers le scénario de Terminator (bien que le risque soit possible sur le long terme, tout du moins tant que l’inverse n’est pas démontré). Quel serait l’impact sur la manière dont nous concevons le rapport à l’autre, mais aussi notre propre conception de l’humain ?
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