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Transhumanisme ou contre-humanisme ?

15 mars 2016

La question du transhumanisme est encore (trop ?) rare dans les débats actuels. Cependant, les communautés scientifiques et la Science-Fiction n’ont attendu personne pour s’emparer du sujet, en bien ou en mal. Les enjeux soulevés par le transhumanisme sont protéiformes ; ils induisent le concept en tant que tel, soit l’intelligence artificielle ou la cybernétisation, mais aussi les questions politiques, sociales, culturelles et juridiques qu’induirait une telle mutation de la société. Pourtant, personne ne s’est posé la question de savoir si il y avait la moindre nécessité, et surtout la moindre volonté, d’amener l’Humanité vers le transhumanisme, ni ce qu’elle pensait d’un avenir où le quotidien incorporerait des robots tels qu’on les voit dans la littérature.


C’est la problématique centrale du cycle des robots d’Asimov, qui disait justement de la Science-Fiction qu’elle est « la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l’être humain aux progrès de la science et de la technologie ». De nombreuses œuvres ont ainsi soupesé la délicate question autour de l’intelligence artificielle et du transhumanisme, comme Neuromancien, Matrix, ou encore les séries Star Trek et Battlestar Galactica pour ne citer qu’elles. En fin de compte, la question la plus épineuse consiste à savoir si le transhumanisme demeure réellement une évolution, ou un contre-humanisme, pour ne pas dire antihumanisme. De nombreux scientifiques élèvent leurs voix contre les dangers que provoquerait la création d’une véritable intelligence artificielle, dont le fameux Stephen Hawking. Pour prendre un raccourci, qui n’en demeure pas moins pertinent pour autant, il s’agit de savoir si Skynet est possible, aussi bien technologiquement que les conséquences désastreuses que la société entraîna dans la saga Terminator en raison des impératifs industriels, et notamment militaro-industriels.


Pourtant, les nombreuses interrogations légitimement soulevées trouvent souvent la même réponse de la part des scientifiques transhumanistes ; celle consistant à décrédibiliser toute critique en lui prêtant fallacieusement le moteur de la peur, et donc de l’irrationnel, quand il ne s’agit pas purement et simplement de disqualifier tout détracteur par l’habituelle invocation de la science-fiction, non pas comme littérature interrogeant le réel, mais comme pur et simple phantasme des imaginaires.



TRANSHUMANISME CONTRE RÉALISME



S’il y a bien une chose frappante de la part de la communauté scientifique favorable au transhumanisme, c’est la naïveté stupéfiante dont elle fait preuve sur les conséquences sociales, économiques et culturelles qu’induit le concept même de transhumanisme et d’intelligence artificielle. Généralement, les débats houleux qui opposent des scientifiques transhumanistes à des « profanes » se traduisent par une joute verbale consistant à jeter l’opprobre sur la science-fiction ou à accuser les contempteurs de ce progrès autoproclamé de se fonder uniquement sur les peurs, cette dernière argutie étant même implicitement appliquée à Stephen Hawking qui se méfierait de l’intelligence artificielle pour « de mauvaises raisons » à en croire certains. Chercheurs du CNRS ou simples roboticiens, il est alarmant de voir à quel point les discours promouvant l’IA sont déconnectés du réel, sans pour autant être dépouillés de toute condescendance scientiste. Du seul fait que la science serait rationnelle, il nous serait interdit de soupçonner une motivation irrationnelle chez ses membres. Et pourtant, il est inquiétant de voir à quel point les créateurs de ce prométhéisme sont persuadés du bienfondé de la mission qu’ils se sont confiée. Philosophes et littérateurs ne sauraient entraver la marche d’une évolution incontestable, puisqu’ils ne sont pas scientifiques, et donc inaptes à la critique.


Cela est pourtant visible dans la grande – et paradoxale – tendance qu’ont des scientifiques, théoriquement rationnels, d’octroyer une âme et à personnaliser les machines, même quand ils ne sont que des automates ou des ordinateurs. Alain Damasio protesta à plusieurs reprises dans ses interventions sur l’écueil humain – trop humain ? – de certains à générer de l’empathie et à personnifier ce qui n’est pourtant qu’assemblage de plastique et de silicium. Si l’anthropomorphisme a toujours été inhérant aux individus, il est toutefois nécessaire de faire une claire distinction entre le vivant et l’inerte. Les animaux, en tant qu’êtres vivants, sont capables de ressentir certaines sensations et certains sentiments, comme le plaisir, la peur, etc., ce qui est prouvé scientifiquement, tandis qu’un robot reste et restera une machine mue par un programme ou un logiciel, puisque reposant sur le mimétisme ou des compétences propres à n’importe quel ordinateur. Ces robots sont justement trop souvent présentés au travers d’hagiographies médiatiques qui voudraient que les machines dépassent déjà l’Homme dans certains domaines comme les échecs ou le jeu de go, comme si l’humanisme était par nature obsolescent.


Il convient cependant de rappeler, comme le fit Marianne Durano, d’une part qu’il ne s’agit pas d’intelligence artificielle telle qu’on l’imagine, mais d’ordinateurs au sens premier, soit de supercalculateurs, dont la réussite repose d’autre part justement sur la capacité de calcul et de stockage de l’information ; il s’agit d’algorithmes, non pas de créativité ou de réflexion. Par rapport à la littérature, la science est donc encore très en retard, quels que soient les quolibets que ses acteurs puissent faire à l’endroit de la Science-Fiction, qui imagina il y a déjà plus de soixante-dix ans ce qu’on peine à créer aujourd’hui.


Nonobstant cela, les interrogations liées au projet social et politique, et les risques économiques et culturels qui en découleraient restent souvent négligés. Sans qu’il soit forcément question de se demander si l’Humanité ne se dirige pas vers le scénario de Terminator (bien que le risque soit possible sur le long terme, tout du moins tant que l’inverse n’est pas démontré). Quel serait l’impact sur la manière dont nous concevons le rapport à l’autre, mais aussi notre propre conception de l’humain ?



TRANSHUMANISME CONTRE HUMANISME

Il y a quelque chose de terriblement prométhéen dans le transhumanisme. En tout premier lieu, parce qu’il est un bégaiement de la mort de Dieu, et nous consacre une nouvelle fois « assassins des assassins », mais surtout parce qu’il serait l’apothéose du technothéisme, ou de la Technique divinisée. Nous nous trouvons face à l’étrange et gênante concrétisation de l’histoire de Mary Shelley. Si l’intelligence artificielle est l’évolution logique du prométhéisme propre au complexe d’infériorité du scientifique envers Dieu, elle incarne aussi une forme de résilience. Résilience, parce que son hypothétique recherche constitue une fuite en avant vis-à-vis de problèmes bien actuels. À quel point nous sommes-nous abaissés, avilis, en reléguant nos relations sociales à des machines qui seront programmées pour s’occuper de personnes dépendantes, comme les enfants ou les personnes âgées ? À quel état de détérioration de nos sociétés si orgueilleuses de leur modernité sommes-nous tombés pour estimer que le futur de l’Homme ne sera pas l’humanisme ? 

Car le transhumanisme n’est pas un humanisme, ni même une évolution, mais une mutation. Il est à l’humain ce qu’est la culture de masse à la culture populaire ; un dévoiement qui ne dit pas son nom, fondé sur la conception de nouveaux modèles voulus par la Technique, et créant de nouvelles nécessités dont personne n’avait besoin jusqu’alors. Plus que jamais, le transhumanisme est l’occasion pour la Technique de nous absorber en elle, de nous aligner sur de nouvelles possibilités qui n’ont d’autre but que de servir ses exigences ; la science ne sert alors plus l’Humain, mais l’asservit.

Il faut alors se demander quel projet social, et surtout quel projet politique, une telle perspective servirait, et surtout, à quelle nécessité répond-elle. En réalité, il ne s’agit aucunement des intérêts du quidam, puisqu’icelui n’est pas invité à donner son avis, lequel est d’ailleurs rejeté à chaque fois qu’il est donné, quand bien même se trouveraient des philosophes et d’autres scientifiques pour le défendre. Pour autant, il y a une véritable absence dans le discours transhumaniste de l’influence industrielle, et plus généralement de la finance, sur le potentiel économique que recèle le transhumanisme. Peut-on sérieusement penser que des sociétés comme Google ou Facebook, et leurs actionnaires, veulent réellement notre bien et n’imposeront aucune logique chrématistique aux rêves des scientifiques sincères qui œuvrent au transhumanisme ? Plus qu’une accaparation culturelle et sociale, la fusion entre la Technique et l’Homme, puis sa substitution par des machines, finirait de déclasser les individus eux-mêmes. Que penser des probabilités que des robots remplacent les infirmières, éboueurs, et autres livreurs et de la situation précaire dans laquelle ces derniers seraient placés, au nom de la dictature du rendement et de la croissance ? Les bots nous poussent déjà à la consommation en s’infiltrant dans nos courriers électroniques, en collectant les données de nos navigations sur la Toile, et en les revendant aux publicitaires ; qu’en sera-t-il lorsque les robots composeront la dernière légion du capitalisme et ne nous laisseront pas d’autre choix qu’un « marche ou crève » aussi vulgaire que cruel ? 

Le transhumanisme flirte dangereusement avec l’eugénisme en ce qu’il engendrerait de facto une nouvelle étape que Darwin lui-même n’aurait jamais imaginée. À cela, s’ajouteraient encore des conséquences juridiques qui pourraient prendre des proportions ubuesques, et ce, quand bien même nous adopterions les fameuses trois lois élaborées par Asimov, mais faillibles, puisqu’il en joua lui-même au travers de son cycle, et dont la dernière nouvelle établit une césure drastique entre humanité et humanisme. De façon plus terre-à-terre, se posent des enjeux d’ordre pénal et civil sur la responsabilité (et donc depersonnalité juridique) notamment, mais aussi des questions plus philosophiques sur la considération d’une égalité ou non entre intelligence artificielle et intelligence biologique, qui fait déjà débat entre animistes et rationnels.

Article originellement publié sur Accattone.

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