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Paradoxe du grand-père et de l’écrivain

27 novembre 2015

Aujourd’hui, je vais vous parler de paradoxes. Du moins, des deux paradoxes les plus utilisés et connus de la science-fiction, qui sont donc nommés dans le titre. Mais d’abord, c’est QUOI, un paradoxe ?


Étymologiquement, un paradoxe est une opinion contraire au sens commun, donc, surprenante, choquante, et par extension considérée comme absurde. Aujourd’hui, on retient surtout son sens le plus récent, à savoir un raisonnement qui aboutit à une absurdité, ou une proposition qui contient (ou semble contenir) une contradiction logique.


Prenons un exemple simple, avec le très connu paradoxe du menteur, qui peut s’énoncer d’au moins deux façons.


  • Un homme dit « Je mens ». Si c’est vrai, alors, c’est faux. Si c’est faux, alors, c’est vrai.
  • La phrase suivante est fausse. La phrase précédente est vraie.


Or, une proposition ne peut être à la fois vraie et fausse (non, on ne parlera pas de physique quantique ici, NON !). Il est ici impossible de distinguer le vrai du faux et on tourne sans cesse en rond en essayant. D’où le paradoxe. Donc, maintenant qu’on a la base du paradoxe, allons voir ceux du grand-père et de l’écrivain.



Le paradoxe du grand-père



Ici, on va parler de voyage dans le temps. L’idée de base est la suivante : vous avez une machine à voyager dans le temps et il vous vient l’idée dingue d’aller dans le passé et de tuer votre grand-père. Là, comme ça. Et avant la naissance de votre père, histoire de bien compléter le tableau. Et là arrive le paradoxe : si vous tuez un ascendant avant qu’il puisse perpétuer la lignée, empêchant ainsi votre naissance, vous n’avez pas pu remonter le temps pour le tuer. Ce qui vous permet de naître. Et donc, de remonter le temps pour le tuer. Empêchant votre naissance. Et on recommence le cycle bien paradoxal sans arrêt.
Ce paradoxe peut toutefois être résolu de plusieurs façons.


  • A ) Vous tuez votre ascendant APRÈS que votre naissance soit possible. Votre grand-père alors que votre père est déjà né, par exemple, ou votre père alors que votre mère est déjà enceinte. Vous foutez un peu le bordel dans votre histoire familiale, mais vous ne créez aucun paradoxe ;
  • B ) Votre acte ouvre un nouvel univers, un univers parallèle, où votre version de vous-même ne naîtra jamais. Ceci mis à part, vous continuez à vivre tranquillement, comme le reste du monde, mais dans un univers où vous êtes désormais bloqué et où les choses sont différentes de ce que vous avez connu avant votre départ, puisque votre double ne naîtra pas et ne vivra donc pas ce que vous avez vécu. Le multivers permet donc à la réalité de « s’auto-réguler », en quelque sorte, pour régler le paradoxe ;
  • C ) On reste dans l’idée du principe B, mais avec une conséquence bien plus néfaste pour vous : vous disparaissez. Totalement et brutalement. Votre acte crée cette fois non un nouvel univers, mais une nouvelle ligne temporelle dans le même univers, où vous n’avez donc plus aucune existence. Là encore, il y a une « auto-régulation » de l’univers pour régler le paradoxe, sauf que celle-ci détruit cette fois la cause directe de ce paradoxe.


Un exemple bien connu du paradoxe du grand-père (il n’exploite pas la mort de l’ascendant, cela dit, mais c’est la seule différence) est le film Retour vers le Futur (1985), où Marty empêche ses parents de se rencontrer en revenant en 1955. Il crée ainsi un paradoxe qui le menace d’une disparition totale. L’ascendant n’étant pas mort, il réussit toutefois à arranger les choses, non sans modifier totalement la ligne temporelle et l’univers qu’il connaît. On est quelque part entre le point B et le point C. Si George avait été tué à un moment ou un autre, il aurait fallu basculer totalement dans l’un ou l’autre. Le deuxième film exploite bien plus le principe de multivers et de lignes temporelles alternatives, avec le Hill Valley sous la domination de Biff Tannen, par exemple.



Le paradoxe de l’écrivain


Ou du sculpteur, musicien, ou n’importe quel artiste… Le paradoxe de l’écrivain consiste à placer un événement comme étant à la fois cause et conséquence de lui-même. C’est flou, hein ? On va vous expliquer avec une petite mise en pratique.

Imaginez à nouveau que vous disposez d’une machine à voyager dans le temps et qu’il vous vient l’envie de voir votre auteur préféré (pour rester dans le thème de la dénomination francophone du paradoxe), qui est déjà mort. Vous allez donc voyager dans le passé pour cela, avec sur vous un ou plusieurs de ses ouvrages que vous voudriez lui faire dédicacer. Problème : une fois arrivé au moment voulu, vous constatez avec effroi que l’auteur en question ne semble pas exister. Personne ne le connaît, ses livres ne sont nulle part, sa propre famille ne le connaît pas… Alors, que faire ? Hé bien, pourquoi ne pas recopier les livres que vous avez sur vous et les faire publier sous son nom ? Soit. Mais dans ce cas, d’où sortaient ces textes que vous avez emmenés et recopiés, si vous venez de les faire vivre dans le passé ? Et qui les a vraiment écrits ?

Dans le même ordre d’idée, vous remontez le temps, l’auteur existe, vous le rencontrez. Mais il n’a pas encore écrit le livre dont vous avez tiré une phrase ou une idée que vous allez lui énoncer, et ne l’écrira que suite à cette rencontre. Encore une fois : d’où sort donc le livre que vous avez emmené dans le passé si l’auteur en a eu l’idée par ce que vous lui avez dit et qui suppose qu’il existe déjà ?

Votre voyage dans le passé est ici cause et conséquence de lui-même et crée la paradoxe de savoir qui a vraiment écrit le texte original. Et ce paradoxe est là impossible à résoudre, à moins de considérer que le seul voyage dans le temps, sans rien faire, soit suffisant pour écrire une nouvelle ligne temporelle ou ouvrir un nouvel univers… Personnellement, je ne trouve pas ça logique, mais pourquoi pas ? Après tout, tout est plus ou moins possible dès qu’on joue avec l’espace-temps et les dimensions. En tout cas pour l’instant, tant que la science ne nous dit rien de formel sur le sujet.

Doctor Who a pas mal utilisé le paradoxe de l’écrivain, notamment The Shakespeare Code, The Fires of Pompeii, ou, plus récemment, Before the Flood, où le Docteur expose carrément le principe dans la séquence pré-générique.
Ces deux paradoxes sont juste assez classiques et difficiles à éviter quand on parle de voyages temporels. Il ne tient qu’à l’auteur de savoir s’il en fera un procédé paresseux ou un ingénieux pot twist.

Article originellement publié sur Writing SFFF.

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