Wall-E est l’un des succès les plus fameux des studios Pixar, et une œuvre des plus profondes, tant par la poésie qui s’en dégage que par le message qu’elle porte de bout en bout. Servie par une réalisation qui confère au film son ampleur poétique, en nous perdant lors de la scène d’exposition dans un gigantisme des plus vertigineux dans lequel serpente Wall-E, effectuant inlassablement sa tâche dans l’écho d’une musique swing. Abordant sans détour les ravages de la société de consommation par un jusqu’au-boutisme bien mené dans une première partie qui pourrait évoquer les films muets, pour ensuite dévoiler ce « nouveau Pouvoir » qui uniformise les individus grâce à l’acculturation et l’hédonisme. Chose des plus paradoxales alors que Disney et Pixar sont des incarnations du système qu’ils dénoncent à travers ce long-métrage.
Il faut voir Wall-E comme une vaste fresque démontrant toute l’étendue nihiliste qu’incarne la surconsommation. L’hédonisme de masse y est poussé à l’extrême pour en démontrer l’absurdité, faisant de la planète elle-même un vulgaire bien consommable, que l’Humanité a fui en laissant derrière elle des robots nettoyeurs dans l’idée de revenir consommer une fois redevenue habitable. Sans vendre de « planète B », Wall-E démontre une certaine hypocrisie « verte » qui promeut le recyclage comme solution en lieu et place d’un changement de modèle de société. La seconde partie confirme cette tendance à remettre en cause un système capitalistique, transformé en Léviathan. En cela, Interstellar, bien que postérieur, aurait dû s’en inspirer plutôt que de se perdre dans l’apologie curieuse de l’esprit pionnier étasunien. Nous suivons donc le petit robot dans ses recherches archéologiques, découvrant autant d’objets du quotidien dont il ne parvient pas réellement à appréhender l’usage ou l’utilité. Seul résiste le Beau, valeur universelle dont même Wall-E parvient à comprendre la poésie, qu’il souhaite partager avec sa consœur en lui montrant une comédie musicale. Contre tous les biens éphémères dont le pouvoir hédoniste nous persuade de leur nécessité, seul l’art serait capable de résister à l’acculturation, ou d’être compris par tous, peu importe le paradigme de chacun.
Cependant, la deuxième partie du film s’ouvre sur une scène aussi brillante, sinon plus, que ce que suggère l’entame de la première. Wall-E explore la cause de la surconsommation dans l’exposé intelligent et comique d’un Léviathan 2.0, pourvoyeur d’hédonisme de masse comme l’avatar d’un capitalisme monopolistique, ou presque.
En effet, pour quiconque connaît quelques rudiments de théorie marxiste, le communisme pourrait arriver par deux moyens différents. La révolution prolétarienne, voie connue de tous, mais aussi l’avènement d’une superstructure qui aboutirait de fait au communisme en s’effondrant. Wall-E a eu l’intelligence de pousser cette seconde théorie, en montrant les contradictions profondes d’un système à bout de souffle puisque pour se maintenir, hors de la Terre, sans marchés financiers, sans système bancaire et monétaire, il serait prêt à se muer en communisme de fait. Le privé a remplacé l’appareil d’État, mais pour en devenir une copie viciée qui doit sa survie par le conditionnement des individus. Il impose en effet un monopole-monopsone entretenant constamment « l’homme-masse » en lieu et place de véritables individu ; une seule méga-structure gérant tous les aspects de la vie des habitants du vaisseau spatial, de la nourriture au vaisseau lui-même. Le clip d’évacuation de la Terre n’est d’ailleurs pas un discours d’un Président de la Terre, ou d’une quelconque patrie, mais de celui de Buy n Large, jouant parfaitement le rôle de la superstructure prophétisée par Marx. La compagnie ayant procédé avec succès à une totale colonisation des imaginaires, elle parvient à se maintenir en détruisant l’individualité. Tous les passagers ne vivent qu’à travers les écrans holographiques qui leur voilent l’horizon, tous croient être différents, et doncégaux, en changeant tous la couleur de leur combinaison vers une autre, sans bien sûr s’en rendre compte. C’est un Léviathan qui ne se contente donc plus de l’adhésion consommatrice, mais qui s’insinue dans les cœurs et dans les esprits pour façonner un « homme nouveau ». Véritable fascisme qui illustre les craintes de Pasolini, l’on peut raisonnablement penser que les scénaristes l’ont vu, voire lu, ainsi que Christopher Lasch, figure très connue au États-Unis ayant longuement décrit les processus historique et sociologique de la culture de masse.
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