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12 hommes en colère et 1 erreur

22 novembre 2015

12 hommes en colère est un monument du cinéma, un classique absolu à plusieurs titres. Il s’agit d’un film remarquable, car l’action se déroule en temps réel, en huis clos, avec douze personnages, chacun ayant leur personnalité bien distincte. Pourtant, si le dialogue est un bijou de logique, il contient une erreur manifeste.




Le récit commence par la fin d’un procès. Un homme a été tué, et son fils est le principal suspect. Toutes les preuves semblent incriminer le jeune homme, et la peine capitale est retenue contre lui. Les douze jurés se réunissent dans une pièce pour délibérer sur le sort du garçon et décider s’il encourt ou non la peine de mort. L’enjeu est de grande importance, cependant, les jurés vont se montrer dans un premier temps peu soucieux du sort du prévenu.




La coutume veut que les jurés procèdent à un vote préalable avant tout débat. Chaque homme note donc sa position sur un papier, et il y a un dépouillement. Rapidement, onze votes se prononcent pour la culpabilité, et un unique vote déclare le jeune garçon non coupable. Il s’agit de Davis, le juré numéro 8, campé par Henry Fonda. Ce dernier ne pense pas que le jeune est innocent, mais n’est pas non plus certain de sa culpabilité, et veut simplement prendre le temps de reconsidérer chaque aspect de l’affaire avant de l’envoyer ou non se faire exécuter.


Le film déploie des prouesses d’argumentation. Chaque homme ira de ses théories, de ses préjugés et de ses certitudes, pour se confronter aux autres, et surtout, au juré 8, qui veut étudier chaque détail. Peu à peu, à force de logique, il parviendra à changer la position des onze autres personnes. Pour ce faire, il repose son discours sur une subtilité juridique, à savoir le doute valable. Autrement, s’ils ne sont pas certains de l’absolue culpabilité du jeune garçon, ils ne peuvent pas le déclarer coupable, et ce dépit du faisceau de présomption. Le personnage joué par Henry Fonda parvient ainsi à décortiquer les faits pour faire douter les autres jurés. Pourtant, un détail rend une partie de sa démonstration erronée.



Dans l’histoire, un témoin qui n’est autre que le voisin de l’appartement du dessous où s’est produit le meurtre, prétend avoir vu le fils dévaler les marches de l’escalier. Davis doute de cette version. Le témoin étant un vieil homme, il n’est pas certain qu’il ait pu avoir le temps de traverser son appartement après avoir entendu le corps de la victime tomber à terre, pour ouvrir sa porte et voir passer le jeune homme suspecté du meurtre. Davis utilise alors une pièce du dossier sans se rendre compte qu’elle est fausse.


Le document est un plan de l’appartement où s’est produit le crime, ce qui est bien indiqué par le juré 8. Ce dernier explique que le témoin, habitant juste en dessous, habite un appartement à la configuration identique. Le panneau présente clairement un logement en longueur, avec une chambre, un salon, une petite cuisine et une salle de bain, le tout distribué par un long couloir. Davis appuie donc sa démonstration en soutenant que le témoin, âgé et avec une jambe invalide, a forcément dû trainer pour aller ouvrir la porte. L’explication est limpide, presque imparable, et réussit à semer le trouble parmi les jurés, mais aucun n’a relevé le défaut du plan.



Sachant que le plan représente un appartement avec une unique chambre et que l’explication met en scène un vieil homme habitant seul, il ne pose pas de problème apparent. Seulement, le plan n’est pas celui du vieil homme, mais bien de l’homme tué et de son fils, ce que dit bien Davis. Ainsi, le plan aurait dû avoir deux chambres. Une possibilité serait de se dire que le garçon dormait dans le salon, mais le plan est ce point détaillé que les meubles y figurent, et qu’il n’y a qu’un seul lit.


Le document ayant servi au procès est donc faux. L’erreur est d’autant plus troublante que Davis est architecte, et aurait donc dû voir ce défaut. Le plus intrigant, c’est qu’il ne s’agit pas d’une erreur de traduction puisque la version originale explique qu’il est question de l’appartement du crime, mentionnant à chaque fois très clairement une seule chambre. Pourtant, cela ne colle pas avec le script originel de Reginald Rose, où la réplique est la suivante :


 "All right. This is the apartment in which the killing took place. The old man’s apartment is directly beneath it and exactly the same. (Pointing) Here are the el tracks. The bedroom. Another bedroom. Living room. Bathroom. Kitchen. And this is the hall. Here’s the front door to the apartment. And here are the steps. »


(Très bien. Ceci est l’appartement où s’est produit le crime. L’appartement du vieil homme est juste en dessous et exactement pareil. Là, il y a les rails. La chambre. L’autre chambre. Le salon. La salle de bain. La cuisine. Et le couloir. Ici, la porte d’entrée de l’appartement)."



Henry Fonda récite pratiquement mot pout mot cette réplique, à l’exception près de deux mots : « Another bedroom », soit l’autre chambre. Cela signifie que le script avait bien prévu que l’appartement ait deux chambres, une pour le père, et une pour le jeune garçon. L’erreur tient probablement à la réalisation de l’accessoire du film où il ne figure plus qu’une seule chambre sur le plan. Compte tenu de la minutie de la réalisation, de la précision des dialogues et du jeu remarquable de tous les acteurs, il est regrettable de constater que ce chef d’œuvre contient un tel défaut. Un défaut tout à fait ironique au regard du message délivré, à savoir l’adoption d’un démarche dialectique, l’exclusion des préjugés et surtout : l’examen minutieux de chaque élément. De là à dire que le réalisateur Sydney Lumet est coupable d’avoir laissé une telle erreur passer, c’est une autre histoire…

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