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Critique : Même pas mort

août 12, 2013

Même Pas Mort, le nouveau roman de Jaworski, est indéniablement un roman dont on se souviendra. Explorant une voie peu empruntée en fantaisie que sont la culture et l’antiquité celtique, le récit serait plus proche d’un roman proto-historique que vraiment propre à la fantaisie, bien qu’il en réutilise quelques codes. Cela étant dit,Même Pas Mort fait aussi couler pas mal d’encre chez les fans de la première heure de l’auteur, certains reprochant la complexité de l’œuvre, le style différent abordé, jusqu’à affirmer que l’ouvrage est bien moins bon que le fameux Gagner La Guerre.





Tranchons tout de suite la question qui vous taraude. Est que Même Pas Mort est meilleur que Gagner La Guerre ? En fait, ce serait plutôt la mauvaise question à poser, car les deux romans sont totalement différents, et Jaworski n’a pas écrit Même Pas Mort dans l’optique d’une comparaison avec son précédent roman, ce que plusieurs de ses fans ont pourtant fait.

Il faut bien comprendre que ce roman proto-historique n’a pas ambition de réutiliser les mêmes ingrédients que Gagner La Guerre. Jaworski a voulu être le plus proche possible des cultures celtes et de les respecter au pied de la lettre. Pour cela, vous n’êtes pas sans savoir que les Celtes avaient une culture orale, que l’auteur a décidé de retranscrire en écrivant au présent de l’indicatif d’une part, mais aussi en structurant le récit à l’aide de plusieurs mises en abîmes. Même Pas Mort est un véritable récit à tiroirs, que l’on ouvre à chaque chapitre. Le commencement même du livre nous renvoie aux vieux rites celtes (comparables chez les Hellènes d’ailleurs) d’invoquer les dieux avant de raconter l’histoire, ainsi que la présence d’un interlocuteur, qui sera sollicité de temps à autre. C’est pourquoi la comparaison avec Gagner La Guerre est assez inappropriée, et même ubuesque. Par ailleurs, la maîtrise du style, adapté au genre bien sûr, est toujours aussi excellente. L’impression des phrases calculées et des mots justes imprègne les lignes du roman.

C’est pourtant ce que plusieurs ont reproché dans des critiques plus ou moins acerbes, en affirmant que le roman est de faible qualité comparé à son aîné, sous prétexte qu’il ne réutilise pas les mêmes codes. À tous ceux qui auraient voulu un Gagner La Guerre chez les Celtes, je me permets de leur demander de réfléchir deux minutes à leur gabegie pour me dire quel en aurait été l’intérêt ? Lire la même histoire avec les mêmes schémas, aussi bien au niveau de l’intrigue que des personnages, n’aurait pas le moindre intérêt, et aurait au contraire nui à Jaworski, qui serait passé pour un écrivain d’une piètre imagination. À ceux qui conspuent Même Pas Mort pour son originalité et son audace, je leur répondrai donc par un salut à l’auteur quand il indique qu’il écrit avant tout pour son propre plaisir et non pour faire du fan-service.

L’histoire, enfin, de Même Pas Mort, est difficile d’accès, pour diverses raisons. La première, c’est celle évoquée plus haut, à savoir le « récit à tiroirs » qui déconcertera plus d’un lecteur, a fortiori ceux qui attendaient un clone de Gagner La Guerre. Le texte écrit au présent peut déranger les puristes des temps du passé (comme votre serviteur), mais force est de constater qu’on se laisse emporter par la magie de l’antiquité celtique et des descriptions magnifiées par Jaworski. L’on identifie donc facilement les personnages, les mœurs de cette époque reculée, et l’histoire se met en place assez rapidement (quoique cette notion de lecture est somme toute assez relative selon chacun, mais cela sonne assez vrai en comparaison du rythme du Nom Du Vent de Rothfuss). Sans vouloir évidemment vous spoiler (et vous contraindre par là même de vous procurer rapidement ce livre, ou de découvrir l’auteur par ses précédents ouvrages), Même Pas Mort ne parle pas d’une histoire que l’on pourrait malencontreusement croire banale au début. Comme tout bon roman, le plaisir de lecture est graduel, et si les archétypes de la fantaisie sont présents il serait dommageable pour vous de penser qu’il en est autant du reste. Bien sûr, il y a le jeune homme héritier d’un roi déchu et donc privé de son legs, la guerre, l’exil à cause d’une apparente malédiction… Mais faut-il rappeler qu’ici nous ne sommes pas dans une histoire recyclant les poncifs de Tolkien pour la énième fois, mais dans une reconstitution de la vie celtique ? Certes, la forme reprend des codes de la fantaisie, mais tout son intérêt réside dans sa conjugaison avec un fond quasi inédit, et c’est là que Jaworski nous montre qu’il est un grand auteur, parce qu’il réussit cette synthèse. Avec Même Pas Mort, ce n’est pas seulement un renouveau dans la fantaisie que l’on pensait inespéré, c’est surtout la confirmation d’un auteur qui marquera le genre même.

Article originellement publié sur Apocryphos.

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