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De la nécessité d'un néologisme

juil. 12, 2014

Le français est une langue riche avec toute une panoplie de connecteurs et d’opérateurs logiques permettant de préciser son propos. Toutefois, le nombre de conjonctions apparaît réduit dès lors que la logique s’empare du langage, et l’absence d’un mot réunissant et et ou pèse, engendrant l’étrange et/ou. Cet hybride serait un calque de la forme anglaise and/or, qui serait d’abord apparu au XIXe siècle dans des textes de la langue juridique. Elle se serait ensuite répandue dans la langue technique. Malgré sa prolifération, ce and/or demeure critiqué par les grammaires anglaises, pour les mêmes raisons que le et/ou l’est par les grammaires françaises. Pour l’heure, chacun se contente d’un hybride, une pseudo-conjonction, à savoir et/ou, engendrant des phrases telles que :


Pierre mange des fruits et/ou des légumes.


Phrase traduisible en bon français par :


Pierre mange des fruits ou des légumes.


Le et/ou est redondant par rapport au simple ou. Ces deux phrases sont synonymes et signifient que Pierre peut manger un seul des aliments à la fois. D’un point de vue académique, la conjonction ou est par défaut inclusive : elle inclut l’addition (les deux possibilités à la fois) en plus de l’alternative (une seule des deux possibilités). Ce caractère implicitement inclusif de ou est également vrai pour les équivalents de cette conjonction dans les autres langues, comme or en anglais.


Toutefois, à l’usage, ou prend une valeur exclusive (l’addition des deux possibilités est exclue) que le français et les autres langues précisent ce fait par des périphrases si le contexte ne suffit pas. Dans l’exemple, un contexte quotidien est suffisant pour déterminer le caractère exclusif de ce ou. Mais pour lever toute ambiguïté, il est possible d’écrire :


Pierre a dans son frigo des fruits ou bien des légumes.


Le frigo de Pierre contient soit des fruits, soit des légumes.


De même, en anglais, ce caractère exclusif est précisé avec la tournure either… or. La conjonction ou a plutôt une valeur inclusive par défaut, mais s’il faut malgré tout expliciter ce caractère inclusif, cela se fait avec une périphrase :


Pierre va manger des fruits ou des légumes ou les deux.


Pierre va manger des fruits ou des légumes, éventuellement les deux.


Par rapport à ces tournures, le et/ou peut paraître concis, mais cela alourdit les phrases et allonge le temps de lecture, car elle nécessite un effort de déchiffrement du sens global de la phrase. Le caractère peu intuitif du et/ou se remarque aussi par le fait qu’il n’est pratiquement jamais spontanément utilisé à l’oral.


En outre, la barre oblique signifie elle-même ou, si bien que et/ou est en soi une triple conjonction : et ou ou. Si l’on pousse cette logique jusqu’à l’absurde, il faudrait remplacer ces deux ou consécutifs chacun par un et/ou.


Histoire de dissiper l’ambiguïté, la création d’un néologisme, en l’occurrence d’une néoconjonction, faciliterait l’emploi de et et de ou, hypothéquant la polysémie simultanément inclusive et exclusive de ou selon le contexte, et ainsi avoir à disposition un outil signifiant à la fois l’addition et l’alternative de deux notions dans une phrase.


Reste à déterminer la forme de cette nouvelle conjonction, sa graphie, sa prononciation et son nom. Sachant que et est directement hérité du et latin, et ou du aut latin, il semble avisé de puiser à nouveau dans cette langue antique. Cependant, pareille conjonction n’existe pas en latin, et la création d’un néologisme en s’inspirant de idem, ibid ou cum s’apparente à du bricolage, non à de la philologie. L’idée maîtresse est d’élaborer un mot aussi court que les conjonctions d’origine, d’emprunter au latin et de faire retranscrire l’idée de liaison, quelque chose de limpide et aussi facile à utiliser que l’esperluette &.


Une forme d’évidence conduit à adopter une ligature et la nommer. Le latin offre ainsi æ et œ, élégante manière de véhiculer l’idée de cohésion par la réunion de deux lettres tout en exprimant deux particularités. Æ s’inspirerait de æqualis — égal — et phonétiquement se lirait . Œ réutiliserait le e de et et le o de ou pour le lire ou . Respectivement, le seul inconvénient serait qu’æ évoque ayé, contraction de ça y est, et œ fait penser à l’interjection ohé, ou au vulgaire ouais.



Sachant que le français présente quantité de terminaisons de sonorité é, la première ligature æ semble adéquat par sa sonorité, sa concision, son esthétique et naturellement la précision de langage. Le ligaturion ou la ligude serait son nom, prenant pour source le mot ligature et la terminaison –ion pour évoquer la petitesse, ou le latin ligo — le lien — accompagné de la terminaison –ude. Le respect du latin suggère la ligude pour désigner la nouvelle conjonction de coordination æ.

Ainsi au lieu d’écrire :

Pierre mange soit uniquement fruits, soit uniquement des légumes, soit des fruits et des légumes.

La ligude permet de transcrire cette simultanéité d’addition et d’alternative.

Pierre mange des fruits æ des légumes.

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