N’oublions le pas : avant d’être un monde, le roman fantastique est avant tout, devinez ? Un roman, oui. Avec toutes les contraintes qui y correspondent : une histoire, des personnages , etc. Comme dit dans l’introduction, il ne faut pas confondre cadre et œuvre, ce qui est en partie la cause des faiblesses des romans de haute magie où les détails de l’univers finissent trop souvent par empiéter sur le reste. Toutefois, le monde et la magie sont souvent l’intérêt même de la fantasy, sans quoi, pourquoi s’embarrasser d’une scène pouvant demander plus d’efforts que la pièce elle-même ?
Commençons d’abord par un point sur le cliché. On dit souvent « c’est un cliché ». Mais déjà, qu’est-ce qu’un cliché ? Eh bien, comme je l’avais lu une fois, le cliché, c’est une bonne idée qu’on a utilisé au moins deux fois. En effet, avant de s’inscrire dans le patrimoine culturel, ç’aura d’abord été une idée inédite. Qui sait si les romans dans le genre du Trône de Fer, basés sur des personnages nuancés, un univers réaliste et des complots politiques ne finira pas par devenir un poncif ?
Toutefois, en lui-même, le cliché n’est pas forcément mauvais. Il est suicidaire, en temps qu’écrivain novice, de se lancer dans de complexes fictions basées sur des intrigues entre croisées, des myriades de personnages, d’autant que vous êtes quasiment sur de ne pas finir votre roman. Alors s’appuyer sur certaines idées toutes faites vous permettra de faciliter quelque peu la tâche de l’écriture. Ceci dit, attention, je ne fais pas un appel à la fainéantise intellectuelle : chacun a le devoir de tenter d’innover et de faire bouger la base bien figée de la fantasy. Ce n’est pas pour autant que vous ne pouvez pas faire quelque chose de bon à partir d’une base simple si vous avez un talent au niveau de votre plume ; si l’histoire suit, cela peut même faire un bon roman. Mais il me semble dommage de ne pas innover là où tant de possibilités s’ouvrent.
Le manichéisme
Le manichéisme est une sorte de second sens un peu facile pour une notion de philosophie dont tout le monde a fini par se ficher tant il a pris le sens de l’opposition entre le bien et le mal, les zentils et les messants. Depuis la nuit des temps, le héros tue les ténèbres armé de sa lampe, le chevalier tue le dragon. A vrai dire, c’est presque un cliché attachant, et il fait clairement partie de ces clichés qu’on ne doit pas avoir honte d’exploiter, d’autant qu’il peut se montrer intéressant si on joue avec les points de vue.
Mais je me permettrais de citer l’utilisation la plus pénible du manichéisme, la plus usante, la plus ressassée, la plus stupide, sans sens et abrutissante : faire porter sur leur visage la nature profonde des personnages. Ainsi, les méchants sont laids et les gentils sont beaux et resplendissants. Dans le pire des cas, ils sont blonds aux yeux bleus. Il s’agit déjà d’ailleurs d’un stéréotype physique, mais quand il est collé sur le stéréotype mental, on se dit décidément que ça ne sert « aryen ».
Alors les auteurs ont inventé un contre : les méchants sont tous dotés d’une beauté ténébreuse, ont les yeux noirs, les cheveux noirs mais la peau blanche (voir pâle), on est pas racistes nous mon bon monsieur. Remarquons toutefois que ceci s’extrait au moins du méchant = monstre qui est un peu lassant au bout d’un certain temps. On pourrait également parler des clichés de méchants sans cesse répétés (la femme dominatrice en cuir, le très très vilain en armure intégrale pour cacher ses brûlures, etc).
En face, les gentils. Ceci vient peut-être du fait que j’affectionne le côté noir de la force, mais un gentil cliché est hautement plus insupportable qu’un méchant cliché. Je parle des honnêtes orphelins champions du bien, qui, bien sûr, ont le méchant comme père. Ca été drôle une fois, et encore. Là c’est juste le stade terminal de la pauvreté. Généralement les gentils sont des humains, à vous de nous les faire ressentir comme tels. Ils doivent douter, s’égarer, etc. Heureusement, il est rare de trouver à présent des écrits qui rentrent trop dans ce cliché ; mais comme il n’y a vraiment rien de plus pénible que les héros suintants de bons sentiments, je vous conjure, enlevez ça de vos récits.
Un cas particulier, les prophéties
Oubliez ce que j’ai dit sur les clichés. CERTAINS clichés sont bons. D’autres ne le sont PAS. Pas du tout. Les prophéties font partie de ceux-là. Le premier à avoir utilisé ce ressort scénaristique était un créatif, le deuxième un plagieur, le troisième le fils caché de Staline et de Cruella. La prophétie est l’expression la plus basse de la plume de l’écrivain de fantasy, la plupart du temps. Car c’est dans les scénarios sans vraie innovation qu’on les trouve, ces paroles aussi goûteuses que qu’un carton qui aurait passé douze mois dans l’Océan Pacifique, du genre : « Le monde sera sous l’hiver de la mort pendant treize décennies, sous le joug du cruel Vilainssipide ; mais un héros viendra nous sauver, et blablabla, et blablabla. ». Cela a une propension atroce à enlever cruellement du lecteur la moindre once de suspens d’un scénario qui paraît souvent déjà trop convenu. On pourrait ainsi formuler une règle de l’écriture, en anglais parce que ça claque : « 41. Prophecies aren’t funny. Seriously guys. It’s worse than DESU jokes ».
Ceci dit, comme il n’y a jamais de règle absolue en écriture, il peut s’avérer que PARFOIS, les prophéties soient utilisées avec intelligence et pour le bien du scénario. Dans l’Epée de Vérité, Goodkind crée carrément toute une logique autour des visions du futur qu’elles donnent, créant des personnages dédiés uniquement à elles, les rendent en partie imprévisibles, souvent terribles, etc, et ça, c’est vraiment le bien. A un degré un peu moins fort, dans le Cycle de Ji, les types différents de prédictions, l’hésitation des personnages face à ce qu’elles impliquent (jusqu’à parfois tourner au drama, par ailleurs), voir même les révélations fracassantes qu’elles font, sont moteurs de l’intrigue.
Alors avant de mettre des prophéties dans votre récit, posez vous deux questions : est-ce qu’elles apportent quelque chose à l’intrigue et est-ce que leur mode de fonctionnement est intéressant. Si vous dites oui seulement à la première, au moins le lecteur ne sera pas irrité par cette astuce à deux sous. Si vous dites oui aux deux, les prophéties deviendront un élément passionnant de votre livre. Si vous répondez oui uniquement à la deuxième, c’est que vous aimez faire de longues digressions pour des choses qui n’apportent rien à l’histoire, auquel cas je pense que vous feriez mieux de tenter de réhabiliter le roman baroque.