— CLÉ # 10 —
Ciblez le malheur et soignez les interactions
L’intrigue peut mourir du malheur d’un personnage : les drames ne sont pas gage de qualité. En voulant relater des destins tragiques qui ne concernent pas le protagoniste, vous courez seulement à votre perte. Les personnages ternes attirent l’indifférence, sur eux-mêmes et aussi, peut-être, sur l’ensemble du récit. Préférez des personnages dont les interactions entraînent un conflit ou à l’inverse, font progresser l’Histoire en aidant le protagoniste.
Dans le domaine de l’écriture, apprenez à anticiper l’effet à long terme du comportement, et en particulier des agissements de votre protagoniste envers les autres personnages. Le problème, c’est qu’en campant obstinément sur ses positions, voire en refusant de changer de méthode, le lecteur ne peut pas concevoir de l’intérêt pour un personnage dont il connaît le fonctionnement. Le récit peut avancer, mais le protagoniste ne changera pas intérieurement, pire le conflit tendra davantage à la stagnation plutôt qu’à une résolution. Dans un autre contexte, des dialogues écrits sans utilité peuvent nuire à l’histoire : toute réplique revêt une pertinence ambiguë en fonction de son sens ou de la manière dont elle fait progresser l’intrigue.
Même les meilleurs dialogues ne sont pas systématiquement nécessaires et le lecteur se montrera toujours plus happé par des scènes d’action plutôt que de discussion. L’enjeu ne porte donc pas tant sur la quantité de paroles échangées entre les personnages que la manière dont le discours illustre le conflit principal au cœur du récit qui motive le protagoniste à atteindre son objectif.
Lorsque le malheur accable le protagoniste, notamment à la suite d’un concours de circonstances sur lequel il n’a aucun contrôle, il attire chez le lecteur son soutien et sympathie. Et puis, il y a les autres personnages, ceux qui enchaînent les déconvenues soient parce qu’ils sont mal caractérisés, soit parce qu’ils s’accordent mal avec l’intrigue et finissent par lui nuire. Ce serait bien si nous pouvions les corriger, changer leur schéma de pensée, améliorer leur implication dans le conflit qui sous-tend votre histoire, mais le plus souvent ces personnages déstabiliser le récit au point de menacer l’importance même du protagoniste. La raison en est simple : nous nous sommes parfois trop attachés à ces êtres de papier et il nous coûte d’apporter des modifications, voire de sacrifier, des personnages qui ont initialement demandé beaucoup de travail ou qui reflète un aspect de notre propre vie sans que cela soit pertinent pour le récit.
Comprenez bien ceci : dans la poursuite de son objectif, ceux avec qui le protagoniste interagit ont une importance cruciale. Le risque que vous courez en l’associant à des personnages négatifs est de perdre ensuite beaucoup de temps et d’énergie en réécriture. Eviter de verser dans le pathétique et la négativité quand ça ne concerne pas le protagoniste, sinon le lecteur ressentira de l’apathie au lieu d’empathie.
Il n’y a qu’un remède : acharnez-vous seulement sur le protagoniste. Il est un adage en écriture : si le protagoniste est à terre, frappez-le. Autrement dit, si vous comptez noircir le tableau, empirez sa situation plutôt que celle de personnages secondaires. Cependant, le temps de prendre conscience du problème, il est souvent trop tard. Comment protéger votre histoire contre un mauvais dosage ? Il faut juger les personnages sur leur utilité vis-à-vis de l’intrigue et non sur leur apport à la tonalité du récit. L’effet prime sur la qualité. Ce type de personnage est reconnaissable par le peu d’information qu’il révèle, l’absence d’aide ou d’obstacle qu’il fournit au protagoniste et ses apparitions ponctuelles qui ne sont pas vraiment justifiées, si ce n’est votre désir au détriment de la logique du récit. Plus important que tout, ne cherchez pas à susciter un sentiment de pitié, ne vous laissez pas dépasser par des personnages au risque de vous perdre dans des sous-intrigues sans intérêt. Méfiez-vous donc de ces signes : apprenez à analyser l’impact sur le texte, et plus largement, sur le plaisir du lecteur.
À l’inverse, il existe des personnages avec une incidence plus efficace et plus facile à maîtriser : certains enrichissent l’histoire par leur profondeur, leur complexité et leur intelligence. Le lecteur aura plaisir à les suivre et les retrouver selon certaines péripéties. Débrouillez-vous pour renforcer leurs liens avec le protagoniste afin qu’ils participent à sa transformation en vue de lui permettre d’atteindre son objectif.
Utilisez à votre avantage leur singularité. Si par exemple votre protagoniste est introverti, ce trait de caractère le limitera et il peinera à s’épanouir. Associez-le donc à des personnages volubiles ou exubérants et, progressivement, le protagoniste changera. Il ne faut pas hésiter à exploiter des personnalités opposées, non pour engendrer du conflit, mais pour du contraste pour mettre chaque personnage mutuellement en valeur. Ne vous hasardez jamais à faire intervenir des personnages qui partagent les mêmes défauts que le protagoniste, car ceux-ci se renforceraient, leurs qualités s’amenuiseraient si bien que le protagoniste ne ferait aucun progrès. Fondez les relations entre personnages essentiellement sur leurs différences et sur ce qu’ils peuvent s’apporter l’un à l’autre avant de travailler les sentiments qu’ils éprouvent l’un envers l’autre.
D’ordinaire, le malheur est un effet dramatique par facilité ; et il n’y a point de procédé plus dangereux que créer artificiellement de l’incertitude et de l’angoisse pour le lecteur. Raisonnez en termes d’obstacles et d’épreuves plutôt qu’en émotion et en ambiance. En somme, élaborez des personnages utiles et originaux, voire paradoxaux, et évitez ceux aux destins misérables et sans importance pour le récit.