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La violence sexuelle dans les Contes de fées

21 avril 2016

Les Contes de fées sont comme autant de manuels de la Vie pour les enfants, du moins est-ce l’image que l’on s’en donne volontiers, image que nous avions déjà fortement nuancée dans notre conférence sur les Contes. Cependant, le cas de la sexualité, aussi bien dans le rapport au sexe que les mœurs liées au sexe, renforce le rôle conservateur des contes, malgré de nombreux psychanalystes qui s’évertuent à les voir pour ce qu’ils ne sont pas : une littérature émancipatrice. Les contes ne sont pas émancipateurs, au contraire ; ils s’inscrivent dans la préservation de certaines mœurs, de certaines conventions sociales. Leurs représentations du sexe en témoignent, et sont double, car les contes procèdent soit par allégorie, soit les abordent concrètement, sans pour autant s’épancher sur l’acte lui-même.


Ces deux représentations posent un dualisme inhérent à cette question, car la morale afférente à chacune d’entre elles est différente selon qu’il s’agisse d’une représentation allégorique ou non. Dans ce premier cas de figure, le Petit Chaperon Rouge demeure le meilleur exemple, car l’allégorie repose sur le personnage du Grand Méchant Loup et la tentation de l’héroïne de s’écarter du bon chemin, au sens de via recta, pour s’égarer. La représentation allégorique sert donc une morale préventive, l’allégorie du loup et du chemin traversant les bois agissant comme une mise en garde.


À l’inverse, les représentations concrètes du sexe servent une tout autre morale ; celle de l’acceptation du patriarcat dans ce qu’il a de plus phallocratique. Le génie des Contes résidant en ce qu’il s’adresse justement aux enfants, leur message peut ainsi se graver dès le plus jeune âge dans les esprits afin qu’une fois adultes ils considèrent définitivement leur morale comme fait naturel et naturellement accepté par tous. Ainsi, la question de la violence sexuelle dans les Contes de fées est perverse, car elle consacre la soumission totale et inconditionnelle des femmes telle qu’on peut la voir théorisée par Platon dans sa République.



LA PHALLOCRATIE COMME VALEUR MORALE



Le caractère profondément phallocratique des Contes est manifeste dans la version originelle de la Belle au Bois Dormant : Soleil, Lune et Thalie de Giambattista Basile, conte napolitain du XVIe siècle. Alors que le roi découvre la princesse endormie, ne pouvant résister à sa beauté, Basile écrivit qu’ « il se saisit de cette proie légère et la porta sur un lit où il cueillit les doux fruits de l’amour », après avoir échoué à la réveiller, et l’abandonne. La scène est troublante, non seulement parce qu’il s’agit d’un viol, mais aussi parce qu’une fois réveillée et après avoir accouché de deux enfants, Thalie se réjouit pleinement du retour du roi et même de l’explication de son geste, avant de tomber amoureuse de lui : « Il se fit connaître de la belle et lui raconta ce qui s’était passé, et, l’amitié s’installant, ils en vinrent à des liens plus solides ». Ainsi, le conte justifie totalement le viol par les bienfaits de la naissance, mais confère une normalité à l’acte puisque perpétré par un monarque. Ainsi, la procréation par une figure royale, par la narration du conte, impose subtilement à l’enfant l’idée qu’il est normal qu’une femme ne puisse ni protester, ni s’opposer, mais surtout qu’elle doit se réjouir d’être ce que Rousseau appelait le « réceptacle » du plaisir masculin. La femme est une figure castrée par les contes, n’ayant qu’un rôle-fonction dont ces derniers assurent la pérennité.


En cela, les Contes de Fées ne diffèrent que très peu des traités politiques de l’époque. Les Six Livres de la République de Jean Bodin ou les Monarchomaques, qui précédèrent les Contes de Basile, s’inscrivaient dans une même logique conservatrice ; celle de préserver un ordre social sur le déclin, et c’est justement cette contemporanéité avec l’impression collective de déclin qui constitue leur spécificité. La littérature agit quand le politique devient impuissant à conserver son emprise culturelle sur la société ; les Contes remplissent donc ce palliatif en dernier recours. En cela, « ultima ratio regum » pourrait aussi être la devise de la littérature médiévale.



LE TABOU COMME VALEUR MORALE



Cela se vérifie tout autant quand il s’agit des Contes servant au contraire à instiller les notions de bien ou de mal, notamment les tabous. Les contes dePeau d’Âne, et surtout sa version originelle, L’Ourse de Basile, usent alors de stratagèmes narratifs différents.



Le procédé narratif des Contes est probablement leur clef de voûte ; c’est grâce à la narration que les actes des personnages deviennent normaux, voire bénéfiques, ou au contraire nuisibles ou malfaisants. 

Dans Soleil, Lune et Thalie, c’est parce que l’acte du roi est sans ambages qu’il se veut normal, et accepté comme tel. Il témoigne de mœurs courantes, et dont on souhaitait le maintien. Or, la violence sexuelle de L’Ourse, puisque considérée comme néfaste par le narrateur lui-même, est présentée naturellement d’une autre manière. Dans le Conte, alors que le roi se retrouve veuf, il décide de briser la promesse faite à sa femme de lui rester fidèle, même dans la mort (ce qui diffère de Peau d’Âne, où la reine, sur son lit de mort, lui fait promettre de n’épouser qu’une femme aussi belle qu’elle). 

Rompre cette promesse caractérise déjà négativement la figure du roi, à l’inverse du conte de Thalie où il est présenté comme libérateur. De même, ses motivations contribuent à en faire un antagoniste veule et libidineux, puisque suivant les dictons « Douleur d’épouse, douleur de coude » ou encore « Une dans la fosse, une autre sur la cuisse ». Plus avant, c’est d’ailleurs de son initiative propre que naît la spécificité reprise dans Peau d’Âne de désirer la femme la plus belle du royaume, achevant de consacrer l’inceste comme valeur immorale, puisque désirée par des personnes dépravées, attestant ce que confirmera plus tard Levi-Strauss à propos de l’universalisme propre à ce tabou. 

Enfin, Basile livre la résolution du dilemme du roi qui cherchait la plus belle femme de la manière la plus froidement logique qui soit : « Pourquoi vais-je chercher midi à quatorze heures, puisque Preziosa, ma fille, est faite avec le même moule que sa mère ? J’ai ce beau visage chez moi, et j’en cherche un autre au bout du monde ? », pour ensuite rétorquer à sa fille révoltée « Baisse le ton, ravale ta langue et résous-toi à nouer ce soir ce lien matrimonial sinon, ton oreille sera ce qui te restera de plus grand ! », bien qu’échouant naturellement à se « faire apporter le registre sur lequel il devait solder les comptes de l’amour ». L’Ourse expose ici une dichotomie nette avec Soleil, Lune et Thalie ; la violence sexuelle y est présentée comme telle, sans qu’il soit nécessaire de l’interpréter. 

La figure oppressive du père, et l’aide de la bonne fée aidant Preziosa à s’enfuir, sont autant de figures qui permettent à l’enfant d’identifier rapidement les personnages, mais surtout de prendre parti. L’Ourse et Peau d’Âne remplissent ainsi la fonction éducative que l’on prête toujours aux contes, en enseignant aux enfants l’immoralité de l’inceste, mais aussi la faillibilité de la figure paternelle, qu’ils sont censés surpasser. 

Cela étant, la grande différence du message porté par le Conte se fonde sur une nuance très subtile de sa narration, afin de façonner l’imaginaire de l’enfant sans qu’icelui ne s’en rende compte. Si la prévenance contre l’inceste peut être louée, qu’en pensent les naïfs en tout genre qui s’extasient sur les contes quand ils lisent Soleil, Lune et Thalie ?

Article originellement publié sur Apocryphos.

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