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Pourquoi Minas Tirith est une mauvaise forteresse 1/3

29 avril 2016

Minas Tirith ! Minas Tirith, la Tour de Garde. Minas Tirith, la fière capitale du Gondor qui se dresse dignement face aux sombres montagnes du Mordor. Citadelle magnifique, d’une architecture remarquable, d’une histoire riche et illustre, avec autant de personnages héroïques et tragiques, elle évoque la grandeur et prête à l’enchantement. Minas Tirith est si prestigieuse dans la Terre du milieu, si imposante et si grandiose pour le modeste lecteur que la cité devient à elle même la métonymie de la sureté, de la solidité avec le courage pour mortier. Toutefois, en lisant les descriptions et en regardant l’adaptation cinématographique, un œil averti et quelque peu critique ne peut s’empêcher de constater la faiblesse de cette place forte, et de s’interroger sur l’efficacité de ses défenses au regard de l’étonnante facilité avec laquelle les armées de Sauron ont pénétré dans la citadelle, sensée imprenable. Il bien faut l’avouer : le siège dans le Retour du Roi est proprement catastrophique.




Le 13 mars 3019 du Troisième Âge, les troupes du Gondor furent submergées sous le nombre des assaillants et les Hommes durent se retrancher dans la Cité Blanche, abandonnant le Rammas Echor et les Champs du Pelennor à l’ennemi. Commença alors le très — trop — bref siège de Minas Tirith. Dès le lendemain, le premier niveau subit des dégâts importants sous le feu de l’ennemi et au matin du 15 mars, la Porte fut brisée sous les coups de Grond, le puissant bélier forgé en Mordor. Le Roi-Sorcier d’Angmar put alors traverser la Porte que nul ennemi n’avait jamais franchie. Toutefois, il se retrouva face à Gandalf et dut rebrousser chemin lorsque les cors des Rohirrim retentirent dans la plaine, annonçant la charge des cavaliers menée par le Roi Théoden. Le siège dura deux jours. Deux malheureuses journées auront suffi à pénétrer dans l’une des plus formidables forteresses de la Terre du Milieu. Le seul siège plus rapide dans l’Histoire réelle est celui de la Bastille, et encore, le gouverneur avait fini par ouvrir les portes aux assaillants et les soldats royaux avaient déserté la place. Même le record de Vauban, le meilleur poliorcète du monde, est de huit jours pour la prise de Maastricht, avec un meilleur équipement, et une des fortifications fatiguées. Alors Minas Tirith, qui est sensée être la meilleure place forte, peut-être après le gouffre de Helm, accuse une performance déplorable alors que sa première enceinte est sensée être indestructible. Cela laisse songeur…

Une question évidente s’impose au regard de cet épisode honteux pour le Gondor : quelle est l’origine de ce désastre ? Doit-on blâmer le réalisateur Peter Jackson pour avoir porté à l’écran une forteresse plus esthétique que pratique ? Peut-on accuser Tolkien d’avoir des lacunes en architecture médiévale ou d’avoir façonné un récit bancal ? Ou alors la faute est-elle imputable à Denethor II, l’intendant mentalement dérangé, d’avoir mal entretenu et mal défendu la cité dont il avait la charge ?


Une œuvre


Il convient dans un premier temps de replacer Minas Tirith dans l’œuvre dont elle émane. Avant toute chose, Tolkien était un linguiste, très porté sur la culture nordique, à savoir qu’il s’intéressait davantage aux caractéristiques intrinsèques de certaines peuplades, qu’à leur efficience d’un point de vue architectural. Malgré les intentions de Tolkien pour conférer à la Terre du Milieu un passé héroïque médiéval, ses récits sont privés du moins de référents architecturaux, sinon de détails précis. Ceci s’explique par l’implication de l’auteur dans le projet profondément nostalgique de ressusciter le monde médiéval perdu et ses valeurs.

Si l’objectif de Tolkien était d’écrire un Beowulf moderne, il semble que Peter Jackson lui ait permis de réaliser pour partie sa vision. Les moyens pour créer cet univers filmique populaire, cependant, sont loin d’être subtils et répondent aux codes hollywoodiens où l’architecture est un instrument au service de lisibilité de l’histoire par le biais de l’imagerie. En conséquence, le film comporte un large spectre d’architectures variées dont les caractéristiques sont à la fois décomposées et harmonieuses. Gardons à l’esprit que la Terre du Milieu est un monde complexe où des forces occultes opèrent en permanence. En maintenant le silence sur les détails stylistiques, Tolkien entendait élaborer un récit dont la force reposerait avant tout sur la dramaturgie que sur une qualité formelle. Il délègue à l’imagination du lecteur le soin d’échafauder une réalité enchanteresse grâce aux indications ciselées du texte.

Ainsi, il serait aisé d’objecter que ces considérations ne sont pas les éléments majeurs du récit, or force est de constater que nombre de ressorts importants du récit reposent sur des constructions remarquables. Pire, l’architecture est un élément central, vecteur de dépaysement et d’émerveillement. Qui n’a pas rêvé de passer des vacances à Fondcombe ou de se construire une demeure à l’image de Cul-de-sac ? La nature ayant horreur du vide, Jackson s’est donc empressé de le combler à grands frais d’images de synthèse et de constructions insolites, occultant l’ampleur mythologique du récit si bien que l’esprit du spectateur n’est plus transporté, et cherche à appréhender de manière logique un univers qui ne l’est pas. Loin de briser l’émerveillement, cela conduit à une lecture plus concrète de Minas Tirith et de considérer la citadelle au travers du prisme d’une analyse architecturale précise.


Un monstre


Minas Tirith est une chimère qui n’a jamais été clairement décrite. En 1944, Tolkien entreprit de faire une esquisse de la citadelle : elle restera inachevée. Seuls le dernier niveau et quelques détails de maçonnerie de la dernière enceinte y figurent. Il est impossible de savoir si l’auteur n’a pas terminé le dessin par manque d’inspiration, de talent graphique, ou de temps.


Quant aux livres, ils sont avares de descriptions architecturales. Ainsi, Peter Jackson a dû inventer une nouvelle histoire architecturale pour son scénario afin de compléter la vision de la Terre du Milieu. Dans les films, la vraisemblance cède le pas au spectacle pour répondre à la nécessite de lisibilité immédiate au détriment de la subtilité. Telle qu’elle apparaît dans la trilogie, Minas Tirith n’a d’un point de vue purement stylistique rien de très nordique pour la simple et bonne raison qu’il n’y a tout simplement pas d’architecture nordique. La Scandinavie est demeurée une région satellite de l’Europe, et si les Vikings ont envahi divers pays, ce n’était pas tellement par désir d’enrichissement que par nécessité compte tenu de la pauvreté de ces pays durant des siècles. Ainsi, les seules constructions significatives sont les Stavkirkes : des églises typiques en bois avec un enchevêtrement de toitures fractales, tandis que les habitations ne se différenciaient guère des masures anglaises et les équipements publics de ceux sur le continent. Ainsi, seule Edoras, la capitale du Rohan, correspond le mieux aux canons nordiques qu’aucun autre lieu visible dans les films.




Minas Tirith est donc une sorte de Frankenstein architectural. Les arcades sont empruntées à l’architecture romane, l’alternance bichromique entre le noir et le blanc de l’empierrement rappelle furieusement les motifs du gothique vénitien dont la cathédrale de Florence ou la basilique de Pise sont les réalisations les plus manifestes, la blancheur se rapproche des édifices hellènes et les coupoles s’approprient certains codes byzantins et arabisant dont la basilique Sainte Sophia à Istanbul est caractéristique. Quant à la silhouette générale, il est de notoriété publique que le mont Saint Michel a servi d’exemple. Néanmoins, malgré la pluralité des sources d’inspiration, il est appréciable de voir que ces emprunts, non seulement sont cohérents, mais en plus sont pertinents d’un point de vue historique puisqu’ils correspondent bien au Moyen-Âge où ces dispositifs sont apparus et furent employés. Ainsi, il y aurait peu de reproches à faire aux films.



D’une part, la dimension manichéenne qui domine l’œuvre de Tolkien est respectée par les rondeurs des dômes d’Osgiliath et la blancheur de Minas Tirith qui tranchent avec les fortifications acérées de Minas Morgul et les géométries pointues du Mordor. D’autre part, la réalisation et son équipe ont réussi à éviter l’écueil du cliché en prenant garde de ne pas offrir la vision d’une forteresse médiévale avec murs et donjons constellés de mâchicoulis.



Au contraire, à travers des citations stylistiques spécifiques, Jackson façonne un air d’historicité nécessaire pour donner le ton ancestral au récit : l’architecture fonctionne davantage comme un signifiant de la périodicité pour situer le récit dans le temps héroïque. La cité apparaît comme en relief avec la signature archéologique de monuments médiévaux : vastes étendues de marbre blanc, des cours en pierre de taille, statues altières. Cette typologie simpliste produit une unité filmique unique à seul dessein d’être familier pour l’imagination populaire, car Peter Jackson est resté fidèle à une grande tradition théâtrale où l’architecture reste un contexte visuel intensifiant l’effet psychologique. Le réalisateur a donc pris soin de réinterpréter la place forte à dessein de respecter Minas Tirith dans son essence, faisant apparaître ses principales spécificités sans chercher à corriger les défauts de la citadelle, si ce n’est en renforçant son esthétique pour occulter l’inefficacité défensive de la capitale.



Une anecdote



La seule ligne de défense extérieure se situe autour de la cité dans les champs du Pelennor, avec le Rammas Echor, un long mur extérieur édifié après la chute de l’Ithilien sous l’ombre de l’Ennemi. Il est possible de retenir aussi une porte gardée entre deux tours fortifiées à quatre lieues au nord-est qui protégeait la voie venant d’Osgiliath. Deux outils militaires bien modestes au regard des guerres passées, à tel point que Peter Jackson ne les fera même pas apparaître dans ses films. Toutefois, les tours d’Osgiliath sont moins intrigantes que les ponts franchissant le fleuve Anduin. Ils apparaissent trop solides pour permettre de les détruire facilement en cas d’attaque, chose qui se confirmera dans le film lorsque l’armée menée par le Roi-Sorcier abat une passerelle pour assurer l’avancée des troupes. On est lieu de croire qu’un système de franchissements en bois ou de ponts à bascule auraient été les bienvenus pour empêcher, en tout cas ralentir plus efficacement l’ennemi.



Ensuite, Minas Tirith domine une vaste plaine vierge, pratiquement désertique, sans le moindre piaf à des kilomètres à la ronde. Certes, le Seigneur des Anneaux se veut ancré dans une époque figée technologiquement dans le Moyen-Âge, or cette période couvre mille ans et a permis de mettre au point toute une panoplie de forteresse. Le contexte technologique n’est donc pas pertinent pour expliquer les défauts de conception de Minas Tirith. Alésia avait un système de défense mieux adapté que Minas Tirith, c’est dire… En effet, la forteresse gauloise avait un glacis constellé de fosses, de pièges, de talus, de pieux dressés et de menues tourelles afin d’empêcher l’armée ennemie de s’approcher. Une autre pratique consistait à asperger les champs de pois ou de pétrole afin de les enflammer au passage de l’ennemi, lui causer des pertes et d’hypothéquer son ravitaillement. Il est également possible de citer le cas de Massada située dans l’actuel Israël, où une petite cité fortifiée sur un éperon rocheux a résisté presque un an à l’armée romaine, pourtant très bien équipée et expérimentée. Minas Tirith ne tire pas non plus tellement avantage de sa position, et il aurait été tout à fait envisageable de doter la cité d’une retenue d’eau en captant des ruisseaux de montagne pour alimenter en eau la ville et les fermes qui l’entouraient, et à l’occasion, s’en servir pour inonder les champs ou submerger l’ennemi lors d’un siège.



La cité de Tolkien n’a rien de tout ça, avec seulement des champs et quelques fermes tout autour, sans même ne serait-ce qu’un fossé pouvant gêner l’accès des engins tels que les béliers, les trébuchets ou les tours de sièges. Dans un cas comme dans l’autre, celui d’une cité nichée dans la campagne, ou d’une citadelle alerte et bien équipée, c’est caricatural, et la forteresse en devient presque une anecdote dans le territoire, une sorte d’absurdité dans le paysage. Pas étonnant que Sauron ait eu envie de la rayer de la carte.



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