Un empire galactique s’apparente à une entité politique englobant plusieurs mondes habitables différents régis par une même puissance tutélaire, souvent autoritaire. Il s’agit d’un standard de la Science Fiction. La première œuvre à présenter une telle structure politique à l’échelle de la galaxie est le célèbre cycle de Fondation d’Isaac Asimov, lequel inspirera des années plus tard l’empire galactique de Georges Lucas dans Star Wars. Toutefois, la notion d’empire galactique revêt un caractère générique, et il est possible d’y associer des États spatiaux à l’instar de la Fédération des Planètes Unies de l’univers de Star Trek ou la société féodale Goa’uld de Stargate.
Néanmoins, si la littérature est profuse en matière de civilisation interstellaire, rares sont les auteurs à s’être interrogés sur la possibilité d’une telle structure juridique à une telle échelle. Même en postulant que l’humanité aurait la technologie nécessaire pour former un empire galactique, la viabilité d’une pareille entreprise se heurte à de nombreux obstacles à condition de considérer chaque aspect de manière réaliste.
3. Des interactions inadaptables
Selon des critères chimiques et biologiques, même si l’apparition de la vie est fastidieuse, il existe de nombreuses possibilités pour qu’elle soit apparue ailleurs au point de développer une espèce intelligente. Au hasard d’une exploration, l’humanité pourrait rencontrer une ou plusieurs espèces xénomorphes. Il n’est pas dit que les relations soient aisées. Le roman L’homme dans le labyrinthe de Robert Silverberg illustre brillamment la problématique d’échanger des informations avec une autre espèce. L’humanité, incapable d’expliquer que l’action de ces êtres est nuisible, se retrouve contrainte à subir, sans même savoir si l’espèce qui leur cause tant de souci leur est véritablement hostile.
Un autre problème découlerait de la différence physionomique entre les espèces. Une bactérie ou un germe bénin pour les humains pourraient être dévastateurs pour les xénomorphes, ou inversement. La guerre des mondes de H. G. Welles laisse présager que les plus petits microbes peuvent constituer de terribles obstacles pour des envahisseurs. Ce problème se rencontrerait même avec des mondes exclusivement humains : des mondes développant des organismes pour lesquels la population s’immuniserait, mais qui provoqueraient des épidémies ailleurs. Même à notre époque, sur notre monde, un touriste moyen rencontre des problèmes pour les mêmes raisons. L’exemple de l’anéantissement des Aztèques par les conquistadors menés par Cortès est riche d’enseignement. Autrement dit, même avec une même espèce et la science pour guérir de ces inconvénients, les problèmes de quarantaine et de traitements médicaux nécessiteraient une logistique démentielle.
Par ailleurs, nous ne pourrions pas forcément nous rendre sur une planète où la gravité est dix fois supérieure à celle de la Terre, et des êtres habitués à une pression atmosphérique plus dense ne pourraient pas venir sur la nôtre. Il semble improbable de se lier avec des êtres dont les échanges nécessiteraient des aménagements trop particuliers si bien que le plus simple pour les deux espèces serait soit de se livrer à la guerre pour détruire l’autre, soit ignorer son voisin. D’un autre côté, une ou plusieurs autres espèces intelligentes évoluant en parallèle des humains pourraient constituer un critère pour fédérer tout le monde autour du même objectif de se défendre l’humanité contre cet éventuel adversaire.
L’idée d’une galaxie uniquement peuplée d’humains semble pratique et réalisable. Cependant, c’est sans compter le phénomène d’évolution et les mutations d’un peuple par rapport à un autre, pouvant différer selon les radiations de l’étoile ou l’environnement. L’humanité, par la pluralité des mondes colonisés, peut très bien emprunter des chemins singuliers, et amorcer de nouvelles espèces chacune avec ses propres aspirations.
4. Des conflits inenvisageables
La plupart des histoires de space opera comprennent des guerres interstellaires, ou tout au moins, une menace de grande envergure. Pourtant, de tels conflits s’avéreraient hautement improbables en raison de l’inutilité de la faire pour chaque partie.
Tout d’abord, la guerre serait d’une autre nature que les affrontements conventionnels. La perspective de voir une confrontation entre des X-Wings et des chasseurs TIE est quasi nulle. Une civilisation capable de spatiopérégrination et de communication sidérale instantanée utiliserait des vaisseaux automatisés ou commandés à distance à la manière de La stratégie Ender où la flotte humaine est commandée par ansible depuis la Terre alors que les croiseurs sont loin dans l’espace. Il n’est même pas dit de voir des vaisseaux s’affronter, car il existe une multitude de moyens pour détruire un peuple. La série Stargate brille d’idées inédites dans la Science Fiction : les Aschens qui stérilise une population en leur faisant croire à un médicament ; Samantha Carter qui perturbe la fusion thermonucléaire d’un soleil pour le transformer en supernovæ et pulvériser tout un système ; la Tueuse de mondes qui terrasse des peuples grâce à des maladies artificielles…
Conquérir une planète par une invasion militaire, ou toute autre méthode similaire, serait incroyablement difficile. Rien que la logistique serait stupéfiante. Le débarquement sur les plages de Normandie avait mobilisé plus de 150 000 soldats. Transposé à l’échelle d’une planète entière, il faudrait transporter des millions, voire des milliards, de soldats à travers l’espace… En outre, une espèce suffisamment évoluée pour voyager dans l’espace et fonder des colonies n’aurait pas besoin de s’engager dans un conflit au risque de le perdre et de gaspiller énormément de ressources et d’altérer l’environnement du monde convoité. Biosphériser un monde serait bien plus commode et moins risqué.
Un autre élément invalide l’idée de conflit. Voyager dans l’espace plus vite que la lumière suppose la maîtrise d’une production colossale n’énergie. Rien que la création d’une bulle de distorsion pour un vaisseau spatial demanderait l’équivalant de l’énergie de plusieurs soleils. Inutile de préciser qu’à ce niveau, transmuter la matière ou transformer l’atmosphère d’une planète pour satisfaire ses besoins requerraient moins d’effort qu’une guerre.
Quand bien même, quelle raison les civilisations interstellaires auraient pour entre en guerre ? L’objectif le plus courant d’une guerre est un gain de ressource ou de territoire. Or l’immensité de l’univers recèle des ressources en quantité incalculable et un espace potentiellement infini à disposition. Presque toutes les matières premières dont nous pourrions avoir besoin peuvent être trouvées en abondance juste dans notre propre système solaire. Une guerre nécessiterait de telles quantités d’énergie et de matières premières que même une victoire certaine ruinerait tout de même chaque belligérant.
5. Du commerce inutile
Le commerce lie les nations ou des groupes de nations. Sans liens économiques solides, il y a peu de raisons de continuer à faire partie d’un grand groupe. Notre monde est façonné par le commerce, il est donc naturel de supposer que tout empire interstellaire digne de ce nom, a fortiori composé d’humains, le serait également. Pourtant, ce ne serait pas le cas.
Le commerce repose sur l’efficacité. Si le Royaume-Uni produit du thé pour 100 $ le kilo, et le Canada produit le même thé pour 150 $ le kilo, il est logique pour le Canada d’importer du thé du Royaume-Uni. Les choses se compliquent avec le coût du transport. Si cela coûte 75 $ par kilo pour expédier le thé à travers l’Atlantique, alors il n’a plus de sens pour le Canada d’importer du Royaume-Uni. Maintenant, considérons le coût de l’expédition des marchandises sur des distances interstellaires. Les frais généraux explosent. Même en présence d’une technologie très sophistiquée, il est difficile d’imaginer l’utilisation de vaisseaux spatiaux consommant une énergie folle pour acheminer des tabourets, des crayons ou des œuvres d’art d’une planète à une autre. Il serait bien plus facile de produire directement sur la planète ce dont elle a besoin. De plus, des mondes reliés entre eux par un système de communication instantané induiraient du moins des transferts de technologie, sinon un phénomène d’émulation conduisant les mondes à fabriquer eux-mêmes ce qu’ils désirent. Puisqu’il serait question de planète et non de ville ou de continent, l’autarcie serait plutôt la norme, et les échanges de marchandises marginaux.
6. Une cohésion intenable
En admettant que la structure politique tienne malgré les problèmes évoqués et que le commerce ait bien lieu, il faudrait que les échanges entre les nations aient des implications pour chacun des mondes de l’empire galactique. C’est le cas sur Terre où le marché entre les pays occidentaux influe sur le reste du monde, et inversement quand un conflit au Moyen-Orient affecte les économies des pays développés. Or, dans le cadre d’une expansion à une échelle interstellaire, le sort individuel de certaines nations deviendrait négligeable. Si l’univers de Star Wars est moqué pour son volet politique, il demeure pertinent sur ce plan en montrant des mondes de la bordure extérieure, notamment Tatooine, qui échappe à l’autorité de la république, puis de l’empire, en raison de leur distance avec le centre de décision en dépit de la technologie pour s’y rendre et communiquer avec.
Avec les distances incommensurables et les écarts de développement entre les mondes, les politiques galactiques se concentreraient inévitablement sur des enjeux concernant des ensembles de mondes, considérant les systèmes comme des entités uniques sans tenir compte des dissensions entre mondes, voire entre pays d’un même monde. Ainsi, les tensions internes à plus petites échelles seraient soit négligées, soit ignorées par manque de temps ou d’intérêt, et provoqueraient lentement la dislocation de l’entièreté de la structure.
Enfin, si la technique permettait de couvrir tous les besoins humains, les dissensions idéologiques seraient probablement le dernier critère de confrontation. À dire vrai, il pourrait même s’agir de l’unique cas où une guerre serait menée en dépit de la perte de ressources. L’enjeu d’un tel conflit serait d’imposer une philosophie, une religion, pourquoi pas un art. Néanmoins, de telles guerres seraient peu probables, car un même dogme pourrait évoluer d’un monde à l’autre, ou s’opposer à de nouvelles idées, si bien que l’environnement culturel serait trop foisonnant et trop versatile à une échelle galactique pour laisser une idée le temps ne serait-ce que d’être transmise à tous les mondes de l’empire avant qu’une autre la remplace. Ainsi, à défaut d’engendrer des guerres à une échelle galactique, cela empêcherait la cohésion de milliers de mondes.
7. Une hypothèse inimaginable
L’histoire à ceci de particulier qu’elle ne se termine jamais. Même si elle se répète et qu’il est tentant d’identifier des grandes constantes historiques, il demeurera toujours une fraction d’imprévue dans la poursuite des évènements et dans la capacité à nous dépasser. Il est impossible de prédire avec exactitude l’avenir, en particulier le produit de l’imagination humaine dans le domaine de la Science Fiction. Le plus gros travers d’une telle analyse repose sur l’analogie. Ainsi, un empire galactique n’induit pas forcément qu’un changement d’échelle, mais peut très bien signifier un changement de paradigme au point de faire volet en éclats les standards. Il s’agit même d’un impératif pour tout artiste qui entend proposer une œuvre originale.
La piste à suivre serait celle d’une structure similaire à l’Organisation des Nations Unies qui n’est pas un gouvernement même si elle joue un rôle politique majeur. Son succès repose sur un principe très simple, à savoir une intrusion minimale pour une utilité maximale pour les états membres. Dans le cadre d’une civilisation interstellaire, il faudrait que le bénéfique d’appartenance surpasse les inconvénients, en apportant ce qu’un monde seul ne pourrait avoir ou faire. Par exemple, la mise en place d’une défense contre une menace.
Toute forme de gouvernement traditionnelle qui tenterait de contrôler plus d’un monde serait incapable de satisfaire d’égale manière chacun d’eux, et provoquerait sa perte. En utilisant une coalition de type interplanétaire et non supraplanétaire, les chances d’existence d’une organisation galactique augmenteraient, tout en continuant à fournir des services utiles à toutes les planètes, même avec des espèces multiples.
Enfin, la singularité technologie et l’avènement d’une intelligence artificielle surpassant l’humanité augure un avenir imprédictible. Sans doute sommes-nous limités sur le plan anthropologique ou cognitif là où une intelligence aritficielle, capable d’appréhender d’autres niveaux d’intelligibilité, trouverait le moyen de faire coexister pacifiquement une pluralité de mondes malgré leurs différences. En réalité, il n’appartient qu’à nous de donner tort à nos plus anciens travers en nous aidant de la science tout en évitant qu’elle serve à satisfaire nos travers.
Une civilisation est une chose compliquée, interstellaire ou pas, et son essor a toujours constitué un défi. Heureusement, ces obstacles n’entravent pas notre imagination ni notre enthousiasme pour les projets les plus incongrus.
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