— CLÉ # 9 —
Le protagoniste triomphe par ses actes,
non par son verbe
Une victoire obtenue grâce à une argumentation ciselée suscite un sentiment d’ennui chez le lecteur, sinon peu d’émotion. Voir un individu agir capte bien plus l’attention qu’une personne qui professe de brillants traits d’esprit. Votre récit sera bien plus prenant si votre protagoniste atteint son objectif essentiellement par ses actes, et moins par son discours. L’action prime sur la parole.
Dans le domaine de l’écriture, apprenez à anticiper l’effet à long terme du comportement, et en particulier des agissements de votre protagoniste envers les autres personnages. Le problème, c’est qu’en campant obstinément sur ses positions, voire en refusant de changer de méthode, le lecteur ne peut pas concevoir de l’intérêt pour un personnage dont il connaît le fonctionnement. Le récit peut avancer, mais le protagoniste ne changera pas intérieurement, pire le conflit tendra davantage à la stagnation plutôt qu’à une résolution. Dans un autre contexte, des dialogues écrits sans utilité peuvent nuire à l’histoire : toute réplique revêt une pertinence ambiguë en fonction de son sens ou de la manière dont elle fait progresser l’intrigue.
Même les meilleurs dialogues ne sont pas systématiquement nécessaires et le lecteur se montrera toujours plus happé par des scènes d’action plutôt que de discussion. L’enjeu ne porte donc pas tant sur la quantité de paroles échangées entre les personnages que la manière dont le discours illustre le conflit principal au cœur du récit qui motive le protagoniste à atteindre son objectif.
Quand on ambitionne de produire une histoire de qualité ou qu’on essaie de divertir le lecteur, il faut toujours chercher le moyen indirect. Et aussi choisir soigneusement ses scènes. S’il importe peu à long terme que le lecteur identifier à un personnage en particulier – ou si son intuition le portera à deviner la suite ou les secrets à venir de votre histoire – alors mieux vaut faire l’économie d’une démonstration. Épargnez votre énergie et passez votre chemin.
Lorsque votre protagoniste fait la preuve concrète de sa volonté, vos lecteurs ne sont pas en position d’attente, et sont donc plus ouverts à la persuasion en voulant connaître la suite, notamment pour découvrir les conséquences des actions des personnages. Faire ressentir ce que vous voulez partager par une péripétie est beaucoup plus efficace et captivant que si vous l’exprimez par des descriptions ou des dialogues artificiels.
Toutefois, le défaut du dialogue peut être retourné à votre avantage. Dans certaines situations, il distrait et couvre vos errements créatifs quand votre trame n’est pas clairement établie que vous peinez à poursuivre le récit ou à approfondir les relations entre les personnages. La discussion dissimule l’absence d’interaction. Plus le dialogue sera conflictuel, et plus le lecteur aura l’impression que la scène recèle de l’importance pour la suite de l’histoire, si bien que son attention sera plus soutenue. L’atout de cette technique est que le dialogue peut ainsi s’appréhender comme un instrument permettant de transmettre au lecteur des informations qui ne passent pas par l’action sans passer par une description introspective en cas de narration omnisciente.
Retenez ceci : les dialogues sont à double tranchant. Chaque lecteur sait que, pris par l’inspiration, l’auteur s’aventure à faire dire des choses étranges à ses personnages, du moins à verser par moment dans le superflu pour enrichir l’univers ou donner un peu d’épaisseur à un personnage. Selon l’état du récit, le protagoniste se retrouve à exprimer ses états d’âme, ses doutes et parfois se livre à des réflexions philosophiques… Si la plume est plus forte que l’épée, un bon mot pèse moins qu’un acte chargé en image et en intensité. L’action frappe plus l’esprit, car elle est plus puissante pour l’imagination et porteuse de sens. Nul ne discute la matérialité d’un fait.
Les poètes s’épuisent dans l’écriture de dissertation qui n’intéressent qu’eux-mêmes. Éviter à votre texte un destin aussi funeste et offrez au lecteur une expérience davantage forgée par l’explicite que l’explication. Entendons nous bien, le but n’est pas de proscrire les dialogues en absolu, mais de privilégier l’action dans une certaine situation, en particulier la résolution d’un conflit ou une victoire du protagoniste. Cela ne retire en rien l’utilité et la force du dialogue en soit, simplement qu’en pareil cas, il n’est pas forcément le meilleur outil. Après, tout le talent consiste à conférer au dialogue la nature d’une action…
Ne vous dispersez donc pas. Dans un récit, la force d’un personnage se mesure à sa capacité à mettre en œuvre sa volonté plutôt que par son talent à s’exprimer.