— CLÉ # 7 —
Faites fonctionner l’imagination du lecteur
Utilisez l’imagination, la connaissance, la culture du lecteur pour que votre univers prenne vie dans son esprit. Cette méthode ne vous épargne pas seulement du temps et de l’énergie précieux, elle vous apporte une aura artistique d’efficacité et d’originalité. À la fin, le lecteur oubliera vos éventuels défauts et se souviendra de l’histoire. Ne décrivez jamais vous-même ce que le lecteur peut imaginer pour vous.
L’écriture a la même dynamique qu’un théâtre : il y a des personnages et des décors, mais il y a aussi un public qui réagit en fonction des scènes. Le lecteur est spectateur, en tout cas passif, et ne se montrera pas enclin à imaginer quoi que ce soit puisqu’il est dans une position d’attente et de découverte, non d’invention et de participation. Toute l’astuce consiste pourtant à renverser les rôles pour qu’il prenne part à l’élaboration de votre monde. Le lecteur peut rapidement comprendre les composants essentiels de votre récit, de vos personnages, et percevoir la mécanique sous-jacente de votre univers. Il peut ainsi anticiper ou deviner d’autres aspects pourtant dissimulés ou peu explicites.
Soyez déjà conscient que malgré tous vos efforts pour rendre la narration la plus précise possible, le lecteur vient à imaginer ce qu’il veut, et se fera parfois une image différente de ce que vous aviez en tête. Cela n’a rien d’une fatalité et ne constitue pas vraiment un inconvénient. Mieux vaut assumer le différentiel entre vos idées et la manière dont elles sont perçues de sorte à l’utiliser à votre avantage. Une fois que vous avez établi les règles de votre univers et les principaux traits de caractérisations de vos personnages, il est superflu de verser dans l’exhaustivité pour lui préférer la suggestion.
L’essence même de cette clé repose sur le fait d’obtenir du lecteur qu’il imagine pour vous ce qui relève de l’implicite ou du caché si bien que le récit paraîtra riche et envoûtant sans avoir besoin de se répandre en descriptions et précisions inutiles. Si vous voulez absolument tout présenter et partager chaque détail de votre univers, cela nuira au rythme et le récit perdra en intensité. Travaillez plutôt les articulations entre les scènes et les interactions entre les personnages — si possible le plus conflictuel possible — au lieu d’augmenter la quantité des informations. Ce que vous croyez comme pertinent, voire indispensable, se révèle souvent sans intérêt, et risque même de provoquer des contradictions. Concentrez-vous sur les éléments qui font progresser la narration et l’évolution du protagoniste dans son aventure. Du reste, quelques révélations adroitement préparées et de ponctuels détails suffisent à enclencher l’imagination du lecteur. Ils échafauderont eux-mêmes, et sans s’en rendre compte, la réalité dans laquelle ils sont transportés le temps de la lecture.
Il existe une autre application de cette clé d’écriture. Sans tomber dans la paresse ou l’excès de mystère, fonctionnez par évocation et analogie, en laissant le lecteur puiser dans ses références personnelles. Isaac Newton appelait cela « monter sur les épaules des géants » — il voulait dire par là que ses propres découvertes avaient été possibles grâce à des exploits antérieurs. Une grande part de son génie, il le savait, était son astucieuse capacité à exploiter les idées des savants de l’Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance. Shakespeare, quant à lui, emprunta des intrigues, des personnages et même des dialogues à Plutarque, entre autres, car il savait que personne ne surpassait la subtile psychologie de Plutarque et ses commentaires pleins d’esprit. Loin de plagier, l’exercice consiste à identifier ce qui contribue à la grandeur de certains oeuvres pour les reproduire à son avantage.
Tant de dramaturges ont déjà fouillé la nature humaine, des générations de poètes et de romanciers se sont évertuées à sublimer la folie comme la noblesse humaine. Ils ont appris à grand-peine à porter le fardeau de l’écriture : leurs oeuvres peuplent l’imaginaire humain, il n’y a qu’à s’y apparenter pour faciliter le grand plongeon dans le récit. Encore une fois, il n’est pas question de s’approprier leur talent, mais de travailler une familiarité dans la caractérisation, de façonner des ambiances connues pour mieux guider le lecteur.
Bien souvent, les idées sont très semblables et l’originalité réside essentiellement dans le traitement que vous en faites. Au lieu de chercher à créer un univers complètement neuf et des personnages inédits, cherchez à vous appuyer sur ce qui est reconnaissable. Plus l’image chez le lecteur sera précise, plus il prendra goût au récit, et plus il sera surpris puisqu’il ne verra pas les éléments différents qui sont de votre plume.