— CLÉ # 4 —
Dites-en toujours moins que nécessaire
Quand vous cherchez à impressionner le lecteur avec vos écrits, plus vous en dites, plus l’histoire parait banale, et moins vous maitrisez l’attention et la tension. Si vous écrivez quelque chose de banal, ce sera original si vous restez énigmatique, et que vous anticipez la réaction du lecteur. Les grands auteurs captivent et envoûtent en écrivant peu. Plus vous écrivez, plus vous avez de chances d’écrire quelque chose d’incohérent ou d’inutile.
L’écriture est en bien des manières un jeu d’apparences, et moins un auteur s’étend se perd dans la narration, plus son récit sera puissant. Votre concision intriguera vos lecteurs. Les êtres humains sont des machines à interpréter et à expliquer ; tout le monde a besoin de connaître l’esprit d’autrui. Si vous révélez toutes les spécificités de votre univers ou de vos personnages au compte-gouttes, nul ne pourra percer à jour les ressorts du récit.
Des révélations laconiques ou inexistantes les troubleront, surtout si elles nourrissent de nouvelles interrogations. Les lecteurs se hâteront de combler ces absences en supposant à tort et à travers, et seront moins en mesure de deviner la progression de l’histoire à force d’établir de multiples théories ou d’espérer un développement particulier. La découverte de ce genre de passage permet à la fois de contenter le lecteur en délivrant quelques éléments sur un mystère du récit et suscitera également chez lui un sentiment de frustration ou de curiosité, ce qui ne fera qu’augmenter l’envie de poursuivre la lecture.
Toutefois, il se révèle rare d’obtenir l’effet escompté simplement en réduisant la taille du texte et limitant les échanges entre les personnages avec des dialogues vagues et courts. Le procédé peut se retourner contre l’auteur et engendrer des personnages sans saveur et des récits trop obscurs. Les personnages peuvent se retourner contre vous, incarner vos écrits à contresens, n’en faire qu’à leur tête sans créer de véritable engouement pour leurs aventures. L’astuce consiste essentiellement à couper lors d’une réécriture l’évident, l’inutile et le personnel du moment que ça ne fait pas avancer le récit ni la psychologie du protagoniste.
Ce procédé peut se révéler fécond. Tout texte devient ainsi l’occasion à véritables exercices d’interprétation d’oracle. Il est préférable de montrer des fragments et de verser dans l’implicite de sorte que le lecteur se creuse la tête pour essayer de comprendre de quoi il en retourne et si sa propre imagination interprète correctement les détails. Chaque élément doit être mince, mais laisser supposer autre chose de bien plus grande envergure. C’est largement plus adroit que de produire des explications et des descriptions interminables qui ne présentent rien de pertinent, pire, qui ne revêtent aucune utilité pour la progression du récit.
Laissez le lecteur réfléchir à votre place en cherchant des indices au lieu de l’inonder d’information. Moins un auteur en dit sur son univers, plus le lecteur voudra en savoir davantage. Plus ils voudront tout connaître, plus vos récits deviendront passionnants à leurs yeux.
En appliquant cette tactique, vous chargerez vos rares écrits de sens et de pouvoir. En outre, moins vous en direz, moins vous courez le risque de laisser échapper des idées incohérentes, voire caricaturales.
Songez à l’oracle de Delphes. Quand les visiteurs consultaient l’oracle, la pythie marmonnait quelques mots sibyllins qui semblaient importants et pleins de sens. Les prêtres s’empressaient de tisser de savantes interprétations, et le voyageur en quête de réponse repartait, impressionné, devant méditer sur quelques mots à la profondeur vertigineuse. Nul ne mettait les paroles de l’oracle et les prêtres délivraient des messages mystérieux : d’authentiques promesses de réponses à des secrets existentiels.
Retenez le conseil : une fois les mots délivraient de votre plume, il est trop tard. Maîtrisez-les à temps, surtout les passages de caractérisation et d’exposition : la satisfaction momentanée d’avoir détaillé l’âme d’un être de papier et d’avoir ciselé un univers vaste peut en réalité coûter très cher au suspens du récit.