Robert Greene, né à Los Angeles le 14 mai 1959, est un auteur américain connu pour ses livres sur le pouvoir, l’histoire et la manipulation. Il a écrit Power, les 48 lois du pouvoir, un ouvrage atypique, intelligent et captivant qui condense trois mille ans d’histoire du pouvoir en quarante-huit lois. Ces lois constituent une manière d’interagir avec autrui avec pour objectif de produire un effet.
Parce qu’un auteur interagit avec son lecteur et cherche également à produire un effet, il est possible d’interpréter ces lois et de les faire passer par le prisme de la narration.
Reformulées, adaptées et réinventées, voici le premier article des clés de l 'écriture.
— CLÉ # 1 —
Ne troublez jamais le lecteur
Laissez toujours le lecteur se sentir le maître du récit malgré sa condition passive. Dans votre désir de plaire ou d’impressionner, ne vous laissait pas entraîner à faire trop étalage de votre talent ou vous provoquerez l’effet inverse : inspirer de l’ennui ou provoquer la confusion. Faites en sorte que vos lecteurs apparaissent plus brillants qu’ils ne pensent et vous atteindrez les sommets de l’écriture.
Il n’est pas un auteur qui, un moment ou un autre, n’éprouve la fragilité de son art. Quand vous dévoilez au lecteur votre habilité de conteur, vous suscitez naturellement une envie, une attente ou un désir. Il faut s’y attendre. Vous ne pouvez évidemment pas passer tout votre temps à vous en soucier, il est utile de les avoir en tête et de se montrer avisé : dans les sphères de littérature, vouloir impressionner le lecteur est peut-être la pire erreur qui soit.
N’allez pas croire que l’écriture a tant changé depuis l’époque de Victor Hugo ou celle de Molière. Ceux qui atteignent une certaine maîtrise se hasardent dans la vanité : ils veulent se rassurer de leur niveau et se satisfaire de voir que le lecteur est conscient du talent. Croire qu’en faisant montre de vos talents vous allez gagner l’affection du lecteur est une erreur courante, mais pas irrémédiable. Certains pourront faire l’effort de vous lire par sympathie, mais à la première occasion, ils refermeront le livre pour en ouvrir un plus intéressant, moins séduisant, moins tape-à-l’œil.
Cette clé implique deux paramètres que vous devez comprendre. D’une part, il peut vous arriver de faire involontairement un texte emphatique en étant simplement vous-même. Il se trouvera toujours des gens pour apprécier des styles ampoulés.
Si vous ne pouvez pas vous empêcher, apprenez à éviter de céder à de vieilles habitudes, ou trouvez le moyen de mettre vos qualités sous le boisseau lorsque vous avez l’ambition de plaire au plus grand nombre.
D’autre part, parce que des lecteurs vous apprécient, ne vous imaginez pas que vous pouvez vous permettre n’importe quoi. Il serait possible d’écrire des livres entiers sur tous les auteurs tombés en disgrâce pour s’être crus trop géniaux et avoir tenté d’être original en méprisant les goûts de son lectorat.
Conscient du danger de déplaire aux lecteurs, vous pouvez tourner ce conseil à votre avantage. Tout d’abord, flatter sa curiosité. Cette méthode consiste à développer son univers ou d’explorer la personnalité de certains personnages sans que ces informations soient fondamentales à l’avancée de l’intrigue, du moins ne la ralentisse. Tout efficace qu’il puisse être, ce procédé a ses limites : lourd, voire grossier, il risque de déplaire selon les affinités de chacun. Une révélation plus discrète et beaucoup plus puissante. En effet, faites en sorte que le lecteur apparaisse plus maître du récit que vous. De démiurge créateur d’univers, jouer le serviteur. Faciliter certaines déductions qui ne feront pas de tort au récit, mais vous donneront l’occasion de façonner un plus grand sentiment de compréhension de votre monde. Une histoire dont l’implicite est trop obscur et les énigmes trop subtiles a peu d’impact sur le lecteur.
Si les ressorts de l’intrigue sont trop évidents, assumez cette simplicité et ne tombez pas dans la complexité. Un parti-pris cohérent et une intrigue linéaire s’avèrent parfois préférables à une structure trop élaborée.
Si vous êtes naturellement doués pour des trames multiples et une narration sophistiquée, évertuez-vous à faire briller cet éclat pendant tout le récit. Il doit rester constant pour chaque chapitre, améliorer les péripéties, embellir le texte et envoûter le lecteur.
Dans toutes ces situations, ce n’est pas faire preuve de faiblesse que de déguiser vos forces si cela vous conduit au succès. En laissant le lecteur comprendre les arcanes de votre histoire, vous gardez la maîtrise de la narration au lieu d’être un auteur dépassé par sa création. Tout cela tournera à votre avantage le jour où vous déciderez de ne plus vous satisfaire de votre condition d’auteur isolé, en cherchant à partager vos écrits au plus grand nombre. Si vous pouvez accroître encore la satisfaction de votre lecteur, alors vous apparaîtrez comme le protégé des muses et votre talent sera salué.