Plusieurs postures peuvent être adoptées. Soit la science-fiction est considérée comme un divertissement, auquel cas la science est un levier qui sert à propulser le scénario. Soit la science-fiction est un genre prospectif permettant d’explorer les applications de diverses technologiques ou les conséquences de situation insolites.
Cette seconde attitude engendre des débats à n’en plus finir entre fans et spécialistes, cherchant toujours le détail pour étayer une argumentation et répondre à des questions que personne n’a posé. Roland Lehoucq a d’ailleurs rédigé plusieurs ouvrages sur la question en démontant point par point dans ses livres l’impossibilité de certains chefs d’œuvres de la science-fiction, et ce avec une ironie et une invective peu utile. Dans une moindre mesure, cette volonté de coller au plus près du possible à donner lieu au sous-genre de la Hard Science-Fiction dont l’auteur Stephen Baxter est une figure du mouvement. Si les œuvres présentent une qualité scientifique indéniable, notamment grâce au fait que les auteurs sont eux-mêmes des scientifiques, elles ne satisfont qu’un public restreint. Sans compter le fâcheux désavantage d’avoir un postulat éternellement ancré dans le présent puisque les connaissances affichées ne sont que le fruit de recherches contemporaines, sans possibilité de digressions.
Le fait que la majorité des gens ne vont pas tracer les équations et faire de savants calculs pour vérifier si oui ou non c’est possible. La volonté première du spectateur, ou du lecteur, c’est d’être diverti et d’avoir une bonne histoire, ce qu’on bien compris les auteurs et les réalisateurs.
A dire vrai, il ne faut pas nécessairement être crédible. Il faut savoir installer un univers, et fonder des postulats auxquels l’auteur devra toujours se tenir. Prenons Isaac Asimov et ses célèbres lois de la robotique : il a créé sa propre contrainte et de là, pu donner une incomparable richesse à ses récits.
La science-fiction n’a pas à être crédible, soit parce qu’elle ne le peut pas, soit parce que le genre s’enfermerait dans le champ étroit de la possibilité. Non. Le talent, c’est d’être cohérent avec soi-même et respecter l’univers dont on se dote.
Plus le monde contient de loi, de singularité, d’éléments, plus il est riche et plus le lecteur sera intéressé. C’est ce que j’appelle « Dracula contre Superman ». Loin d’être le titre d’un film douteux, cela montre les problèmes que peuvent engendrer les lois d’un univers.
Le Syndrome de Superman
Une maladie atroce qui touche quantité de récits. Superman, comme tout le monde le sait, est invincible. Quand il fut inventé dans la première moitié du XXème siècle, Superman était invincible, doté d’une force surhumaine ainsi que d’une panoplie de superpouvoirs d’une efficacité redoutable. Si redoutable qu’aucun ennemi ne pouvait le vaincre. Ce fut la triste réalité à laquelle se sont confrontés les créateurs de ce personnage qui n’avait aucun adversaire lui arrivant à la cheville, ce qui risquait de condamner le comics.
Le SS est révélateur d’un univers avec un élément trop puissant, qui empêche toute crédibilité et provoque l’entropie du récit : sans cadre, il peut partir n’importe où. Les possibilités sont immenses, si immenses que ne pas les exploiter serait incohérent, mais surtout apporterait des problèmes encore plus grands.
Pour Superman, ils n’allaient pas inventer un antiSuperman, un alter ego aussi fort mais maléfique pour avoir des combats sans vainqueur. Ridicule. A la place, ils ont mis en place ce qui pourrait être qualifié de « béquilles », des éléments rajoutés après. Afin d’affaiblir leur Frankenstein, la kryptonite a vu le jour, rendant vulnérable Superman, ainsi que ses déclinaisons en plusieurs couleurs et plusieurs effets.
Un autre exemple, le téléporteur dans la série télévisée Star Trek. Ce que peu de gens savent, c’est qu’à ses débuts les producteurs de la série avaient peu de moyens, et ils ont été confrontés à un obstacle de taille, à savoir comment l’équipage de l’Entreprise faisait pour aller sur les planètes, et les faire atterrir par navette n’était pas envisageable. Les scénaristes ont donc utilisé la téléportation. Très pratique, économique et spectaculaire, Kirk et ses acolytes allaient et venaient tranquillement en tapant sur leur torse et disant ce mot mythique « Energy ! ». Comme pour l’invincibilité de Superman, la téléportation était trop puissante, et retirait tout suspens au récit. L’expédition sur la planète tourne mal, hop, téléportation dans le vaisseau. L’astronef va exploser ? Pas de problème, téléportons-nous sur la planète voisine. Ce monstre a donc eu des béquilles comme Superman : le téléporteur a eu un rayon d’action limité, il ne pouvait pas transporter des éléments denses comme du plomb, ou s’enrayer lorsque le vaisseau manquait d’énergie.
Un monde est comme un atome, trop d’électrons il est instable, trop peu et il est pauvre.
Le génie de Dracula
Notre ami l’ennemi des dentistes est l’inverse de Superman et est à mon avis un parfait exemple d’un élément légiféré.
A première vue, le Comte est immortel, possède une force démoniaque, peut se métamorphoser en de nombreux animaux et résiste à presque n’importe qu’elles armes mortelles. Certes, mais Dracula a des limites qui lui sont inhérentes et font de lui un personnage complexe et riche. Il ne peut se nourrir que de sang, ne supporte pas la lumière du jour, l’ail, et un simple pieu de bois dans le coeur peut l’anéantir. On peut le confondre grâce à un miroir puisqu’il n’a pas de reflet, et une rose déposée sur son cercueil l’empêche d’en sortir. S’ajoute à cela que c’est un être de contraste, à la fois monstre bestial vindicatif, et amoureux qui fera tout pour satisfaire sa mie. Le film Entretien avec un vampire illustre très bien cette condition paradoxale qui torture le vampire Louis et ravit Lestat.
Ces limites permettent même à l’intrigue de se tisser plus facilement car les personnages utiliseront ces faiblesses pour traquer Dracula, qui a son tour utilisera ses pouvoirs pour combattre Van Hellsing.
Un autre exemple, la série télévisée Stargate. La série télévisée a très bien compris cela, car si la porte et les menues technologies visibles sont suspectes scientifiquement parlant elles répondent à une logique interne, des codes établis. Elle doit une partie de son succès à la formidable richesse de son univers qui contient une montagne de subtilité qui ne tient qu’à la porte elle-même. Le vortex ne peut être ouvert qu’avec une série précise de symboles, et une quantité énorme d’énergie. La porte ne peut être ouverte que durant un temps maximum de 38 minutes. J’en passe. Toutes ces particularités permettent de faire des récits très variés en exploitant ces limites.
Le postulat
Tout repose sur le postulat, sa simplicité, et la manière dont il est exploité. Ça consiste à dresser les bornes pour savoir où l’on va. Être original n’est pas forcément à faire quelque chose qui n’a jamais été fait (c’est impossible puisque que quelqu’un quelque part a déjà eu cette idée bien avant), mais éviter de reproduire ce qui a déjà été fait.
La différence est très subtile pourtant très importante : il est plus facile de regarder ce qui existe et de s’en écarter que de produire quelque chose de jamais vu. J’irai même plus loin en disant que les clichés font les meilleurs récits, à condition de le traiter de manière originale.
Ainsi, la création d’un élément original est très difficile, une exploitation originale est bien plus facile. Dans le film hilarant Mars Attacks, Tim Burton joue avec les clichés tout en trouvant un moyen original d’éradiquer les créatures hyperencéphaliques : une horrible musique de country suffit à les terrasser.
L’exemple le plus significatif de règles établies et faisant fi de règles de bases de la science est la trilogie Retour vers le Futur de Robert Zemeckis. Peu importe de savoir si la machine crée un trou noir ou passe par une autre dimension : elle voyage dans le temps un point c’est tout. Le reste n’est que détail pour le spectateur.
La science-fiction doit évidemment se construire sur une base scientifique au minimum véridique, toutefois, elle octroie plus d’émerveillement par la cohérence que par la crédibilité. Le véritable art étant de pouvoir combiner les deux.
La série télévisée BattleStar Galaticta y arrive à la perfection. Côté cohérence, à la fin de la bataille finale, le vieux vaisseau qui a écopé de batailles au fil des épisodes finit presque par rendre l’âme. Fait intéressant, les scénaristes ont même pris en compte l’effet d’usure sur l’appareil, ce qui est totalement à l’opposé de Star Trek où l’astronef était neuf à chaque épisode. Côté crédibilité, un détail amusant attire l’attention comme le fait que les communications des téléphones soit filaires dans les vaisseaux, pour éviter que les virus ne les bloquent et palier ainsi à d’éventuelles pannes du système informatique.
Un détail d’autant plus intéressant si l’on pense aux scénaristes qui ont mis les systèmes plus modernisés comme condamnés d’avance, offrant un paradoxe sur les avancées technologies et prouvant que la science-fiction ne passe pas forcément par du spectaculaire et des technologies extrêmement évoluées.