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Asimov, l’homme aux cent mains

11 janvier 2020

Ce qui suit est issu de la traduction d’un article d’Alec Nevala-Lee originalement publié sur le site PublicBooks.org le 07/01/2020 avec pour titre « Asimov’s empire, Asimov’s wall ». Le texte a été remanié et raccourci pour conserver essentiellement les témoignages.

Isaac Asimov doit sa réputation à deux choses, il était de son vivant à la fois l’écrivain de Science-Fiction le plus célèbre au monde et peut-être l’auteur le plus prolifique de l’histoire américaine. Il avait d’ailleurs conscience puisqu’il a dit : « Nous voulons tous être connus pour quelque chose, et je commençais à voir qu’il y aurait de fortes chances que j’allais être connu pour le grand nombre de livres que je publierais, et rien d’autre ».

L’auteur était également connu pour une troisième chose, à savoir qu’il avait tendance à tripoter les femmes et se livrait à des formes de contacts indésirables avec d’innombrables femmes, souvent lors de conventions, mais aussi en privé et sur le lieu de travail. Au sein de la communauté de la Science-Fiction, c’était de notoriété publique, et quantité de fans contemporains de cette époque le confirment.

Le nombre de ces incidents est inconnu, mais il peut être estimé de manière plausible par centaines, et peut donc correspondre ou dépasser la longue liste de livres qu’Asimov a écrit. Il est donc possible d’affirmer que ce comportement n’avait rien d’anecdotique mais faisait partie intégrante de sa personnalité.

Jeune homme, il était timide et inexpérimenté, ce qui se devine par l’absence écrasante de personnages féminins dans ses premières oeuvres. Il décrit d’ailleurs dans son autobiographie Moi, Asimov que sa relation avec sa première femme était sexuellement insatisfaisante. C’est peu de temps après son mariage que ses doigts commencèrent à vagabonder avec une certaine liberté. Quand il travaillait comme chimiste au Philadelphia Navy Yard pendant la Seconde Guerre mondiale, il aimait par exemple faire claquer la sangle du soutien-gorge des femmes à travers leurs chemisiers — « une très mauvaise habitude à laquelle je ne peux parfois pas résister encore à ce jour », se souvenait-il en 1979.

Lorsque le dramaturge David Mamet a été interrogé sur sa routine d’écriture par John Lahr dans The Paris Review, il a dit : « Je dois le faire, de toute façon. Comme les castors, vous savez. Ils coupent, ils mangent du bois, car s’ils ne le font pas, leurs dents poussent trop et ils meurent ». Asimov se distinguait par un besoin similaire et qui l’a conduit à persister à mesure qu’il gagnait en renommée et qu’il côtoyait de plus en plus de femme grâce aux événements auxquels il participait.





Après la guerre, sa réputation de tripoteur était devenue un sujet de plaisanterie parmi les fans de Science-Fiction. L’écrivain et éditeur Judith Merril a rappelé qu’Asimov était connu dans les années 40 comme « L’homme aux cent mains » et qu’il « se sentait apparemment obligé de lorgner, de reluquer, de tapoter et de draguer comme un acte de sociabilité ». Asimov, connu pour son sens de l’ironie, avait tempéré la chose en décrivant Merril comme « le genre de fille qui, quand son derrière a été tripoté par un homme, tapoté l’arrière train du tripoteur », l’épisode avait laissé à Merril un souvenir bien différent qui a dit : « La troisième ou quatrième fois que sa main tapota mon derrière, je tendis la main pour saisir son entrejambe ».

Tout cela était perçu comme de bon aloi, notamment ses interactions avec les femmes une fois que son succès en tant qu’auteur lui avait permis de procéder en toute impunité. Asimov a écrit dans ses mémoires son habitude de « serrer dans ses bras toutes les jeunes fille s» quand il se trouvait dans les bureaux de son éditeur. Habitude vue avec indulgence par des éditeurs tels que Timothy Seldes de Doubleday, qui avait déclaré à l’auteur : « Tout ce que vous voulez faire, c’est charmer et embrasser les filles. Vous êtes le bienvenu pour le faire, Asimov ». En réalité, ces attentions étaient souvent indésirables et les femmes trouvaient des excuses pour s’éloigner du bâtiment chaque fois qu’Asimov y faisait son apparition.

Une fois la célébrité acquise, son comportement lors des conventions devint plus flagrant, comme le rédacteur en chef Edward L. Ferman s’en était rappelé lors un rassemblement de fans à la fin des années 1950 : « Asimov… au lieu de serrer la main de ma compagne, a secoué son sein gauche ». Asimov assumait ses pratiques : « J’embrasse chaque jeune femme qui veut un autographe et j’ai constaté, à mon plus grand plaisir, qu’elles ont tendance à coopérer avec enthousiasme dans cette activité particulière ». Il se défendait en disant qu’il était universellement considéré comme « inoffensif » tout en écrivant dans son livre prétendument satirique The Sensuous Dirty Old Man (1971), que : « La question n’est alors pas de savoir si une fille doit être touchée ou non. La question est simplement de savoir où, quand et comment la toucher ».

D’autres hommes soutenaient régulièrement qu’Asimov ne faisait que jouer la comédie. En 1961, l’éditeur et fan Earl Kemp l’invita à donner une « pseudo conférence » intitulée « Le Pouvoir Positif du Pincement du Postérieur » lors de la convention mondiale de Science Fiction de Chicago l’année suivante, promettant de fournir « quelques postérieurs appropriés à des fins de démonstration ». Asimov avait décliné, mais avait ajouté pour entretenir son personnage qu’il pourrait être persuadé de participer « si les postérieurs en question présentaient un intérêt particulièrement convaincant ». À noter qu’en parallèle, il se définissait comme féministe.

En outre, bon nombre de ces rencontres n’étaient clairement pas consensuelles. Lorsque l’auteur Frederik Pohl dénonça sa tendance à toucher les femmes « d’une manière assez caressante », Asimov avait répondu : « C’est comme le vieil adage. On vous gifle beaucoup, mais vous vous couchez aussi beaucoup », trahissant le fait que cela n’avait rien d’agréable pour les femmes malgré la nonchalance avec laquelle il en parlait. Le biographe d’Asimov, Michael White, indique que la femme d’un ami aurait été pincée lors d’une fête avant de dire : « Bon Dieu, Asimov, pourquoi fais-vous toujours ça ? C’est extrêmement douloureux et d’ailleurs, vous ne vous rendez pas compte, c’est très dégradant », laissant entendre que la pratique était récurrente. Il existe même une photo — visible ci-contre — prise par Jay Kay Klein lors d’une convention en 1967 où Asimov enroule ses bras autour d’une femme qui le repousse ostensiblement, regardant droit vers l’appareil photo tandis qu’elle essaie d’éviter son baiser.

« Chaque fois que nous montions des escaliers avec une jeune femme, je m’assurais de marcher derrière elle pour qu’Isaac n’agrippe pas ses fesses », écrivait l’écrivain Harlan Ellison, cité dans la biographie de Nat Segaloff, A Lit Fuse (2017), indiquant que : « ça ne signifiait pas grand chose — les temps étaient différents — mais c’était Isaac ». Quand on sait qu’Ellisson a été largement critiqué pour avoir attrapé le sein de Connie Willis sur scène aux Hugo Awards en 2006, cela laisse songeur quant aux manières d’Asimov pour qu’un tel personnage s’en offusque. D’autres témoignages de grands auteurs vont en ce sens, comme Frank Herbert a dit en parlant d’Asimov : « Vous pouviez suivre ses déplacements … par les cris des femmes dont il venait de pincer le cul ».

En général, Asimov choisissait des cibles peu susceptibles de protester directement, comme les fans et les secrétaires, et épargnait les femmes qu’il considérait comme professionnellement utiles. Quand bien même, cela ne l’a pas empêché de poursuivre l’éditrice Cele Goldsmith autour de son bureau.

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