« Avez-vous peur du noir ? », voici la question que le maître de l’horreur pose à l’entame de son fameux essai Épouvante et Surnaturel en littérature, publié seulement en 1969 en France. À travers son ouvrage, Lovecraft nous dévoile l’art de la littérature gothique, les clefs de son succès, aussi bien commercial que littéraire, et surtout la manière de compenser ses faiblesses scénaristiques. Lecture frappante, celle-ci nous révèle en fait à quel point Lovecraft a épousé les codes du gothique pour les transposer dans sa propre œuvre. Après tout, R’Lyeh n’est-elle pas la vision d’un cauchemar cosmique du château hanté perdu au milieu d’une sombre forêt de Styrie ? Cthulhu n’est-il pas l’apothéose du monstre gothique sur lequel le lecteur fantasme tout au long de la nouvelle éponyme ? Le talent de Lovecraft est double ; avoir su renouveler efficacement les codes du gothique dans la création d’un genre qui se substituera à lui.
Épouvante et Surnaturel en littérature est un essai qui se veut le plus exhaustif possible, traduisant le perfectionnisme de Lovecraft et sa soif de découvrir, ou redécouvrir, des auteurs qui influenceront sa propre expérience de littérateur. Les quelques trois-cents pages du volume émaillent d’auteurs et d’histoires oubliés, dont le fameux Roi en Jaune de Chambers qui marqua profondément le reclus de Providence au point d’intégrer certains éléments dans sa propre cosmogonie.
Les analyses que nous livrent l’auteur permettent ainsi de cibler les caractéristiques propre au gothique, qui évoluèrent très peu jusqu’au XXe siècle. S’il y a bien une chose sur laquelle Lovecraft insiste, c’est l’importance de l’atmosphère, qui doit primer sur l’histoire, souvent pour compenser sa faiblesse. Considérant d’entrée de jeu qu’un récit gothique est fait pour effrayer, plus ce dernier sera long, plus la frayeur en sera amoindri, d’autant plus si l’écrivain cherche à expliquer ce qui, par définition, est inexplicable, réduisant à néant toute la dimension cosmique de l’horreur abordée.
En clair, l’image du château perdu dans une lande ou une forêt emplie de mystère, à des lieues du premier village, parfois avec un passif lourd, comme une lignée maudite dont la légende voudrait encore que sa présence hante les lieux, constituent une bonne idée que l’on peut se faire du genre. Si Le Roi en Jaune demeure un canon, Lovecraft ne tarit pas d’éloge pour Dracula de Stoker ou Carmilla de Le Fanu. C’est toutefois Frankenstein de Shelley qui retient le plus son attention, plus proche de ce que lui-même cherchait à reproduire à travers ses nouvelles.
Ce qui charma Lovecraft, outre le danger incarné par l’horreur cosmique, c’est le mystère qui entourait les créatures, véritable élément qui les rend fascinant, contrairement aux récits dont les auteurs cherchent absolument à apporter une explication rationnelle comme le ferait n’importe quel roman policier. Il n’y a rien de plus frustrant, selon Lovecraft, que de se rendre compte à la fin d’un livre que les soupirs mystérieux entendus sous l’ombre d’une voûte ou l’apparition spectrale aperçue dans la cour d’un château en ruine ne sont en fait dus qu’à une intervention humaine, sinon aussi banale que le souffle du vent.
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