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L’erreur de Sixième Sens

28 octobre 2017

L’excellente analyse de Durandal sur l’œuvre de Night Shyamalan a été l’occasion de revisionner le premier chef-d’œuvre du réalisateur (l’autre étant à mes yeux Incassable). Le film Sixième Sens s’impose comme une prouesse cinématographique au regard de son retournement final, son histoire originale et ses acteurs magistraux. Nombre de théories virent le jour par la suite portant essentiellement sur deux interrogations :


  • Malcolm Crowe (Bruce Willis) a-t-il conscience qu’il est mort et choisit-il de nier sa condition ?
  • Cole Sear (Haley Joel Osment) sait-il que Malcolm Crowe est un fantôme et choisit-il d’agir comme s’il n’en était pas un ?



Aussi intéressantes soient ces questions, une ombre de taille contrarie la grande qualité de l’œuvre. Cela concerne la scène des funérailles.


Le film étant sorti il y a presque 20 ans, considérons que vous l’avez vu et que vous connaissez l’intrigue.



Pour rappel, Cole décide de suivre les conseils de Crowe en écoutant Kyra, le fantôme d’une petite fille qui lui demande de l’aide. Il se rend aux obsèques en compagnie de Malcolm, notamment au domicile de la fille où se tient la veillée funèbre. Sur place, Cole trouve une cassette vidéo suite aux indications du fantôme. La bande montre la fille de son vivant en train de jouer avec des marionnettes dans un petit théâtre en carton. Surprise par sa mère (ou sa belle-mère, il existe toujours une petite controverse à ce sujet), Kyra n’éteint pas la caméra et se précipite dans son lit en feignant dormir. La mère entre et pose sur un recoin de l’étagère un plateau-repas, pile face à la caméra. Habituée aux tournages de sa fille, elle ne prête pas attention à l’appareil, qu’elle ne peut pas voir de toute façon de son point de vue. Elle verse alors une dose de poison dans la soupe, et sert le met.



C’est la preuve absolue que la fille a été empoisonnée par sa propre mère.


Si cette preuve existait, pourquoi la fille ne l’a-t-elle montré de son vivant ?


Quand Cole va dans la chambre, la caméra s’arrête sur une série de cassettes et de poupées entassées sur une étagère.



Cela permet de caractériser le personnage : la fille aimait jouer avec ses poupées et faire des petits films. Il est donc vraisemblable que la fille ait de son vivant regardé la vidéo en question. Aucune autre explication éventuelle ne tient.


Kyra n’aurait plus jamais rien tourné par la suite.


Elle semble pourtant plutôt en bonne santé, et non en train d’agoniser, ce qui laisse penser qu’il s’est passé un certain temps entre l’épisode compromettant et son décès (chose confirmée par le fait qu’on entend une personne dire que la maladie a duré deux ans). Kyra a donc très bien pu faire d’autres vidéos avec des marionnettes, et donc tomber sur l’extrait où sa mère l’empoisonne.


Kyra craignait son père de son vivant.


Toutefois, rien n’indique des problèmes familiaux. Lorsque Cole monte dans la chambre, la caméra s’attarde sur un portrait de famille où tout le monde semble heureux et souriant.



Le père est vraiment affecté par la mort de sa fille en se montrant attendri lorsqu’il visionne la vidéo.



Rien ne laisse penser qu’elle le craignait. Idem pour sa mère à qui elle parle le plus normalement du monde.


Une hypothèse serait que la fille se soit sacrifiée pour sa petite sœur.


Il est possible de l’apercevoir à la fin de la séquence quand Cole lui parle.



En acceptant de mourir et de révéler que sa mère est un monstre, cela aurait permis de l’éloigner de la sœur. Cependant, ce plan suppose que la fille savait de son vivant qu’elle était empoisonnée, mais surtout qu’elle avait la certitude de trouver un médium pour l’aider une fois morte.


La fille n’aurait découvert la sinistre vérité qu’après sa mort.


Le problème, c’est que le film ne s’étend pas sur la capacité des esprits à interagir avec des objets physiques. Malcolm ne peut pas ouvrir la porte menant à la cave de sa maison, et ne réussit qu’à briser un carreau sous l’effet de la colère lorsqu’il voit sa femme être séduite par un autre homme.



Seulement, ce serait incohérent que le fantôme de Kyra puisse examiner toutes les cassettes une à une, puis la mettre dans une boîte à destination de Cole sans être capable de la transmettre elle-même à son père. Ou bien elle se serait débrouillée pour faire appel à sa sœur en lui adressant des signes depuis l’au-delà. Le fait qu’elle demande de l’aide à Cole prouve qu’elle ne pouvait pas agir sur le monde des vivants par elle-même, et qu’elle savait de son vivant que sa mère l’empoisonnait.

Kyra s’est laissée mourir volontairement.

Il s’agirait d’un cas du syndrome de Münchhausen où un individu simule ou ne traite pas une maladie à dessein d’attirer l’attention et la compassion de son entourage. Dans le cas du film, cela se doublerait d’un syndrome de Münchhausen par procuration sachant que la mère maltraite son enfant, tirant profit indirectement de l’attention. La fille et la mère se seraient livrées à un jeu de dupe pour leur intérêt mutuel. Malheureusement, aucun indice dans le film ne permet de déduire pareille pathologie psychologique et la fille ne semble pas avoir de tendance suicidaire, au contraire puisqu’elle s’amuse avec ses poupées et demande à sa mère si elle pourra aller dehors pour jouer.

En réalité, Night Shyamalan a fait un calcul scénaristique utilitariste. Il a sacrifié la logique et la vraisemblance d’un personnage sur l’autel du sensationnel. Le spectateur, tour à tour inquiété par le contexte horrifique du fantôme, emporté par l’intrigue et choqué par le drame, évacue de son esprit la cohérence.

Les émotions l’emportent sur la logique. Autant cela autorise quelques entorses logiques, autant cela ne doit en aucun cas servir de prétexte pour éviter de traiter un problème de caractérisation insuffisante. Ce procédé fonctionne parce que c’est un film : le format ne permet pas nécessairement de réfléchir sur l’œuvre pendant que le spectateur la visionne. Ce genre d’incohérence ne tiendrait probablement pas dans un roman où l’esprit prend le temps de digérer les informations qu’il reçoit.

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