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État des lieux de la Fantasy

30 août 2012

Avant toute chose, une petite précision. Malgré toute l’affection que j’ai pour la SF, je ne pense pas que la Fantasy en soit un sous-genre, mais un parent proche. En fait, je dirais que les deux font parties de la même famille de l’imaginaire avec à un niveau basique l’utilisation d’une force contrôlant les éléments, la science en SF, la magie en Fantasy. Il se glisse entre les deux le Steampunk pour un goût du désuet autant que pour un émerveillement de la technique.


L’un des problèmes de la Fantasy serait dû à quelques oeuvres majeures qui éclipsent les autres productions. Je dirais que c’est surtout spécifique aux jeux vidéos de Fantasy. Aujourd’hui, les gens préfèrent avoir le travail mâché et la lecture demande un énorme travail d’imagination de visualisation mentale de ce qui est écrit dans un livre, là une image virtuelle fournit la même chose sans effort. Les jeux vidéos du même genre, non seulement éclipsent, mais en plus épuisent le genre en réutilisant l’intégralité de ses poncifs, si bien que les autres oeuvres surnagent car ne pouvant se distinguer de manière originale. La Science-Fiction par exemple est épargnée car elle recèle des facettes moins spectaculaires, plus complexes que la Fantasy trop souvent manichéenne et plus propice à des scénarios de second couteau. Entre nous, Mass Effect est bien plus intéressant que Fable… Mon propos cependant n’est pas de porter au pinacle la Science-Fiction qui souffre de ses propres défaut.



La crise décrite comme découlant d’un échec de refondre une culture populaire vient à mon sens d’une saturation. Avant le Seigneur des Anneaux, les rayons de Fantasy faisaient grise mine. Aujourd’hui ils ont quasiment pris la place de la Science-Fiction, quand ce ne sont pas les mangas (allez dans n’importe quelle Fnac ou Cultura et vous le verrez sans mal, même dans les librairies dites standards). Il y a eu consécutivement à la sortie du film une très forte demande, là où le marché du livre peine en temps normal à écouler ses stocks. Et puis d’une autre manière, la Fantasy s’oppose un peu à la Science-Fiction. Désormais, le progrès technologique est souvent associé à la pollution et coûte très cher, la course à l’espace n’existe plus, et les principales innovations se bornent à des expériences incompréhensibles pour le commun des mortels dans des machines sous terre et silencieuses, qui ne font pas de bruit ni de grosse lumière. La science perd de son intérêt, et les gens ont naturellement cherché un autre imaginaire à explorer, qui fut ouvert par SDA, comme on son temps Star Wars avait relancé la SF dans les années 70, alors que le genre vivait une crise face au New Age, la contre-culture, le Nouveau Roman et la critique de la science avec les relents de guerre froide apocalyptique. Les éditeurs n’ont pas hésité une seule seconde et se sont mis à produire une masse d’œuvres sans nécessairement se soucier de la qualité. Ce faisant, le marché littéraire a connu une saturation et un certain appauvrissement puisque de bons livres sont cachés dans la masse qui survit bien mal face à des monolithes littéraires tels Robin Hoob ou … Stephanie Meyer.



J’en viens à Tolkien. Son œuvre figure comme un modèle et son influence est certaine. Il faudrait un jour arrêter d’en parler. Les polars ont arrêté de toujours se référer à Cristie, les auteurs de Fantastique à Monpassant et ceux de SF à Verne ou Asimov. Il serait temps de se détacher de ce « maître », juste le considérer comme un défricheur, et l’oublier un temps pour penser sereinement au lieu de se demander si ça déjà été fait. La réponse est oui. Aucune idée ne peut être nouvelle ou originale, seul son traitement l’est.

La Fantasy connaît aujourd’hui une crise similaire à celle qu’a connu la Science-Fiction dans les années 40. À l’époque, les grandes tendances étaient les invasions, les machines destructrices et les Space Opera à la sauce western, et les magasins, les pulps, se livraient une guerre sans merci. Le genre s’en est sorti par la qualité, et un recentrage sur les fondamentaux. Au lieu d’avoir des œuvres bavardes et bruyantes, les auteurs se sont lancés dans la prospective, la réflexion sur notre société actuelle et les conséquences techniques sur notre quotidien. Par ailleurs, il y a eu une volonté de casser les codes, de renverser la vision. Les robots d’hier qui tuait les humains deviennent avec Asimov des êtres serviles au raisonnement complexe pouvant s’apparenter à des émotions. Les humains, toujours envahis, se retrouvent envahisseurs à leur tour avec Heinlein.

La Fantasy peut difficilement se renouveler contrairement à la SF. La Fantasy est, et sera toujours déconnectée de notre réalité, proposant un monde différent et merveilleux. La SF quant à elle, même si elle se projette dans des futurs et des possibles lointains, se positionne comme un outil de prospective, ou d’extrapolation de notre époque, si bien que le genre évolue à mesure que le monde évolue. Chose plus délicate pour la Fantasy qui ne pourra jamais tester les conséquences des réseaux sociaux dans une civilisation dont la majorité de la population ne sait pas lire… Les histoires sont donc condamnées à se répéter d’une manière ou d’une autre.

Il se dégage une tendance, comme quoi la Fantasy n’innoverait pas trop. Ce n’est pas seulement une affaire de scénario, ou que de scénarios, mais également de cadre. Disons franchement, la Fantasy pour sa majorité, ça se passe dans un univers médiéval type européen avec son lot de châteaux et les inévitables auberges. Si la Fantasy commençait à explorer d’autres époques comme l’Antiquité, ou d’autres lieux, comme l’Inde, on pourrait déjà innover rien qu’avec les différentes cultures et les codes de conduites que ça pourrait donner aux personnages, avec par exemple une réflexion autre sur le bien et le mal, ou l’honneur. Personnellement, j’aimerais bien lire un récit de Fantasy prenant place dans une cité Maya mettant en scène pourquoi pas un de leurs dieux au nom imprononçable.

Après, il faut être prudent. Prenons le Steampunk par exemple. C’est un genre qui n’a jamais eu d’apogée ni ne connaît de déclin, il vivote sans briller ni disparaître, continuant à surprendre et intriguer les lecteurs. Les éditeurs ne s’y hasardent pas tellement pour la simple raison qu’il n’y a pas eu de succès majeurs dans le genre, par d’œuvre similaire à Harry Potter pour le régénérer alors que le genre existe depuis les années 70, si l’on excepte À la croisée des mondes. Les lecteurs ne s’y attardent donc pas, car ils ne savent pas sur quoi ils vont tomber, et entre nous disons-le franchement, le Steampunk n’est pas transcendant. Peu de romans sont vraiment intéressants, et ce, malgré un décor incroyable et des machines fabuleuses. Le cadre ne fait donc pas tout, mais il aide tout de même beaucoup car à lui seul il permet à un genre de continuer à exister. Même si c’est insuffisant, je pense que ça peut être une bonne option à explorer toutefois pour remuer les habitudes médiévales de la Fantasy.

Un autre facteur peut-être est le symptôme Ouroboros ; à savoir que la Fantasy tourne sur elle-même. Il y a dans la Fantasy des histoires de Fantasy. Comment dire… Disons que c’est toujours des luttes entre des familles, des guerres, des magiciens et des quêtes. Croiser les genres pourrait être intéressant.

L’imagination fonctionne de manière combinatoire. L’esprit prend plusieurs éléments existants et les assemble pour former quelque chose de nouveau, un peu à la manière d’un enfant qui connaît les mots et s’en sert pour former des phrases. La Fantasy gagnerait à mon avis à tester de nouvelle combinaison, en empruntant à d’autres genres, ou inverser ses codes comme l’a fait la SF. Qu’est-ce qui empêche d’imaginer une enquête sur un meurtre dans un palais royal ? La Science-Fiction a déjà fait ça dans les année 50 et continue, alors que la Fantasy n’a pas, du moins à ma connaissance, tester en empruntant aux autres genres. Au lieu d’avoir un jeune apprenti qui va explorer le monde puis le sauver, on peut imaginer plein de choses différentes, comme le changement de point de vue pour se positionner du côté du méchant. À titre d’exemple, je pense que c’est à ça que tient le succès du dessin animé Aladin, car le spectateur peut autant suivre les efforts de Jaffar pour s’approprier la lampe qu’Aladin pour la garder ; la curiosité étant double. Hitchcok disait bien que les meilleures histoires sont celles où il y a les meilleurs méchants. Aussi, suivre l’avancée maléfique d’un sorcier pourrait être captivant, et au lieu de sauver le monde, on assisterait à sa conquête… Une autre variante est possible en changeant le positionnement dans le temps. Comment le héros fait pour gouverner une fois le pays sauvé ? Et si l’ennemi est en vie, ça pourrait être marrant d’inverser les rôles : le héros commence à se lasser du pouvoir et de sa vie idyllique et va se lancer dans de petites exécutions avant de passer aux massacres, et ce pendant que l’ancien ennemi se rachète une bonne conduite, tente de profiter de la situation, ou cherche à changer le pays d’une autre manière que par la conquête. Autre variante qui me fascinerait ; dans tous les romans de Fantasy qui utilisent la magie, celle-ci est ancienne, occulte, il y a de grands secrets et des sortilèges puissants connus de rares personnes, comme ça avait été là depuis toujours. Et si c’était l’inverse ? Par exemple un contexte de progrès technique similaire à la Renaissance où la magie émergerait pour la première fois. D’abord conspuée, rejetée, elle serait vite adoptée, on commencerait à faire des recherches, à concevoir les premiers sortilèges, et les classes apparaîtraient avec les nécromanciens et les alchimistes, qui pourraient se disputer une économie face aux mécaniciens et l’armée commencerait à s’intéresser…

Et si … ? est la meilleure formule pour explorer d’autres possibles, par forcément d’autres mondes, d’autres époques ou d’autres personnages, mais plutôt des manières différentes de l’aborder. Je terminerais par un exemple génial, celui de Kaim avec son cycle d’Alexandre sur l’ancien Forum. En soi, ça reste très classique, et la force vient en partie des trames parallèles multiples et un style fluide, mais pas que. Le siège de Dümrist est fascinant sur un point, les elfes, toujours universellement traités comme des êtres parfaits et altruistes, deviennent des créatures perverses à l’idéologie dominatrice, considérant les humains comme inférieurs, et chercheront à les exterminer. Ce petit renversement de paradigme, couplé à une critique implicite du raciste, mêle autant la créativité qu’un thème d’actualité, et ce, sans sortir des clous.

C’est une des meilleures pistes à suivre, il semblerait.

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