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Le rôle du post-apocalyptique

janv. 17, 2016

La science-fiction post-apocalyptique est un sous-genre bien connu de tous, du fait de ses succès cinématographiques et vidéoludiques. Cependant, la littérature post-apocalyptique nous renseigne une fois de plus sur le rôle de « lanceur d’alerte » que remplit la science-fiction. Le post-apocalyptique va en effet plus loin que la dystopie. Ce que cette dernière ne peut montrer, conditionnée par des codes très stricts qui ont pour but de la rendre la plus plausible possible, est brisé par le post-apocalyptique. Il explore les grandes peurs des sociétés contemporaines, mais aussi leurs dérives, catalysées par la catastrophe. La science-fiction n’a pas pour but de faire la morale, mais d’interroger la réalité, de dépeindre, et d’expérimenter un faisceau de possibilités technologiques, politiques, sociales et humaines. En cela, le post-apocalyptique en général, tous supports confondus, adopte volontiers la maxime : « l’homme est un loup pour l’homme ».



DISSEMBLANCES AVEC LA DYSTOPIE



S’il y a un dénominateur commun manifeste entre dystopie et post-apocalyptique, c’est bel et bien la perversion de la société, que l’on retrouve aussi bien chez Barjavel (Ravage), Bradbury (Fahrenheit 451), Orwell (1984), ou encore Huxley (Le Meilleur des Mondes) pour ne citer qu’eux. Chez les uns comme chez les autres, l’exposition d’une société amorale, gouvernée par les intérêts et non plus le bien commun, trouve un but didactique à travers sa désagrégation. Le principe pour ces deux sous-genres est simple, et illustre parfaitement le rôle d’éveilleur des consciences de la science-fiction ; le modèle de société le plus infâme est celui qui se prétend le plus vertueux.



La société post-apocalyptique reprend donc des éléments dystopiques naturellement puisqu’elle est censée être son prolongement, mené par un jusqu’au-boutisme des plus cyniques. Le modèle social décrié par Barjavel avant la catastrophe de Ravage est une société aussi décadente qu’elle se prétend progressiste ; l’écriture s’enracine dans un contexte précis qu’est le milieu du XXe siècle, malgré l’Occupation, et dénonce l’accroissement du loisir, de la consommation, bref, du libérisme. La catastrophe redistribue les cartes, et chez Barjavel comme dans Malevil de Robert Merle ou encore Niourk de Stefan Wul, elle permet l’émergence d’un autocratisme, mais authentiquement vertueux puisqu’il s’agit du despotisme éclairé. Chez Barjavel, ce despotisme est éclairé puisque le protagoniste devient despote grâce à sa connaissance de l’Ancien Monde qu’il méprisait, et dont la chute renforça son paradigme barrésien. C’est donc la sagesse et la mesure qui permettent d’être éclairé, comme le voudrait le sens noble de gérontocratie.


Robert Merle a d’ailleurs le mérite d’aller plus loin dans cette subtile apologie du despotisme éclairé, en expérimentant la reconstruction d’une société qui oppose deux modèles autoritaires ; celui promu par les habitants du château de Malevil dont Emmanuel, son propriétaire, remplit le rôle de dictateur au sens républicain du terme. Il l’est par le plébiscite de ses compagnons, et pour résoudre la grave crise engendrée par la catastrophe. À l’inverse, le prêtre arrivé au village voisin de La Roque s’impose par la ruse et la peur. Il usurpe les paroles saintes pour s’octroyer un pouvoir temporel que le séculier n’a pourtant pas vocation à occuper en France, et tout au long du roman l’on ne sait d’ailleurs pas s’il est véritablement ordonné. Cela en fait donc un tyran ; puisque contrairement à son homologue de Malevil, il oppresse la population par la force, et se maintient par la terreur qu’inspirent ses prêches. L’oppression est donc opposée au plébiscite comme fondement distinctif entre dictature et tyrannie, soit du régime légitime et illégitime. Le propos est donc brillant, et c’est probablement la raison qui lui a permis de figurer dans La Bibliothèque idéale de la SF d’Albin Michel.



Cette expérimentation n’est justement pas permise avec la dystopie. Celle-ci n’a d’ailleurs pas cet objectif-là, puisqu’elle cherche avant tout à démontrer la déviance des régimes, généralement bien-pensants ou sécuritaires, et que la lutte contre ces Léviathans modernes est vaine. Le post-apocalyptique lui, va donc là où la dystopie ne peut aller, soit après l’effondrement de la superstructure par la force majeure ; un facteur extérieur, imprévisible, et totalement irrésistible, là où l’avènement d’une dystopie ou d’un totalitarisme provient d’une tendance de fond, et remplit donc des critères exactement opposés à ceux de la force majeure. Mais par-dessus tout, le post-apocalyptique met en scène une catastrophe comme moyen d’explorer les limites de l’humanité, et finit généralement par supposer son propre dévoiement. C’est le cas de Malevil, mais aussi de la saga bien connue qu’est Mad Max, ou la licence vidéoludique Fallout. Silo par Hugh Howey, qui connut un succès fulgurant, est aussi intéressant au titre que le cadre post-apocalyptique permet d’explorer une dystopie située dans un vaste huis clos, dont les rebuts sont expulsés à l’extérieur, où les radiations finissent inévitablement par les brûler.


Cependant, la principale caractéristique du post-apocalyptique, c’est bien sûr la fin du monde. Pour cela, le principal moteur imaginant les catastrophes fonctionne sur ce que l’on nomme les peurs irrationnelles.



EXTRAPOLATION DES PEURS IRRATIONNELLES



Ces peurs irrationnelles expliquent à elles seules pourquoi les romans post-apocalyptiques, puis ensuite les films et les jeux vidéo font état d’une catastrophe écologique ou nucléaire. Les ombres d’Hiroshima et de Fukushima récemment, alimentent une véritable hystérie vis-à-vis des détracteurs du nucléaire, qui voient en l’atome une faucheuse qui finira par avoir fatalement raison de nous. Pourtant, c’est encore la fameuse bombe atomique qui cause constamment les catastrophes, depuis Le Diable l’Emporte de Barjavel jusqu’à Fallout, en passant par Malevil. Les centrales nucléaires, malgré Tchernobyl et Fukushima, ne constituent pas (encore) un creuset science-fictionnel en soi. Niourk propose toutefois, en 1957, d’anticiper le futur des déchets radioactifs. Impossibles à recycler, les politiques dédiées préfèrent les enfouir en espérant ne plus jamais en entendre parler, comme l’on cacherait la poussière sous le tapis. Si Stefan Wul reste peu disert sur la catastrophe écologique qui défigura la planète dans son récit, la véritable peur irrationnelle recouvre deux faces dans son roman.


Outre la dimension écologique consistant en l’assèchement des océans, la mutation d’espèces animales comme les fameux poulpes, c’est notamment la régression civilisationnelle qui est mise en avant, et très en vogue à l’époque. L’idée de décadence, puis de régression, bref, de fin de la civilisation et du retour de la barbarie est typique à l’époque de l’âge d’or de la science-fiction. On le voit notamment à travers le célèbre cycle de Fondation d’Asimov, La Planète des Singes, mais aussi dans la conclusion de Ravage de Barjavel. Le rapprochement avec ce dernier est d’autant plus pertinent, que la fin de Niourk suggère le même message ; à savoir une décroissance intégrale fondant sa légitimité sur l’horreur de la technologie, puisqu’icelle est la cause principale de la fin du monde. Cette idée que la fin du monde provoquerait une régression si l’Humanité venait à survivre est poussée à l’extrême dans le célèbre La Planète des Singes de Pierre Boulle en 1963, où la scène finale permet au narrateur de découvrir qu’il n’a jamais quitté la Terre. Non seulement les primates purent se substituer aux Hommes, et calquer sur civilisation sur la nôtre, mais les humains sont réduits au rang d’esclaves ou de cobayes.


Cette parodie d’une société n’est en fait qu’un atavisme, remontant à la prééminence des Hommes sur les singes, qui finirent par épouser les mêmes codes sociaux une fois parvenus en haut de l’échelle de l’évolution. Il n’y a en fait que La Machine à explorer  le Temps de H. G. Wells qui pose une vision des plus pessimiste quant à l’avenir de l’Humanité qui, même sans la menace des Morlocks, verra sa disparition causée par la mort du Soleil.


En tous les cas, il est constatable que la fin de la civilisation est l’expérimentation principale que permet la catastrophe entraînant l’apocalypse. Niourk et la Planète des Singes explorent la voie du retour de la barbarie, tandis que Ravage ou Malevil estiment que la reconstruction des sociétés passe inévitablement par le retour d’un authentique autocratisme salvateur, qu’il soit vertueux ou non, en barrage contre cette fin, telle que visible dans les œuvres de Wul et Boulle.



Cependant, les peurs irrationnelles évoluent avec leur temps. Si le nucléaire reste aujourd’hui plus une facilité scénaristique qu’autre chose, les progrès dans la course à l’armement sont aussi un des grands thèmes post-apocalyptique. Son nihilisme est particulièrement bien mis en avance dans Le Diable l’Emporte de Barjavel, mais l’expérimentation et l’invention de plus en plus sophistiquées de souches virales sont de plus en plus prégnantes dans le post-apocalyptique biologique. Si la mode du zombi en constitue aujourd’hui l’apogée – mais pas toujours servie par un propos ambitieux – d’autres titres les exploitent brillamment comme L’Armée des 12 Singes en matière cinématographique, mais ce thème précis remonte en fait au Dernier Homme écrit par Mary Shelley en 1826, qui imagine un monde ravagé par la peste à une époque où le seul proto-vaccin connu est la variolisation. 

L’idée d’une nature reprenant ses droits paraîtra elle aussi au XIXe siècle dans After London de Richard Jefferies. Une autre preuve de l’adaptation multiforme du post-apocalyptique est bien sûr la fin du monde causée par singularité technologique, dont la création de l’intelligence artificielle constitue la clef de voûte. Reste enfin l’apocalypse réalisant la prophétie marxiste de la chute de la superstructure sous son propre poids, bien que très méconnue. Un de ses exemples types pourrait se trouver dans Wall-E, où le consumérisme finit par dévorer la planète elle-même, ou Mad Max, dont l’effondrement de l’économie à cause de l’extrême rarification des ressources surexploitées cause une résurgence hystérique des égoïsmes pour le contrôle de denrées, comme l’eau ou le pétrole.

Cette diversification des peurs irrationnelles permettent de tracer l’évolution du post-apocalyptique, partant des épidémies de pestes à des enjeux purement écologiques, en passant bien sûr par l’invasion d’extra-terrestres que l’on trouve notamment sous la plume d’Huxley. Les peurs irrationnelles s’indexent en réalité directement sur la complexification du monde. Les conflits larvés dus à la mondialisation, qui entraîne des interdépendances, rehausse les tensions entre nations du fait de leurs homogénéisations juridique et économique forcées dont les effets forts contrastés fondent les avantages des uns sur les faiblesses des autres, nourrissent les inquiétudes que la Science-Fiction en général interroge, et dont le post-apocalyptique en particulier questionne leurs fins. Comme le disait Asimov, « on peut définir la science-fiction comme la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l’être humain aux progrès de la science et de la technologie »

Article originellement publié sur Apocryphos.

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